Finances

Benoit Chaurette

Pl. Fin., M. Fisc.

Expert-conseil, Centre d’expertise

Banque Nationale Gestion privée 1859

Le carré de sable en planification financière

La planification financière touche plusieurs aspects. Elle s’étend sur sept domaines bien distincts, qui vont des aspects légaux à la succession en passant par l’assurance, les placements, les finances, la retraite et la fiscalité. Les champs d’intervention en planification financière semblent très vastes. Si vastes qu’il serait facile de s’y perdre en outrepassant les limites de la profession. D’ailleurs, quelles sont les limites de la planification financière ? Quel est le carré de sable du planificateur financier et de la planificatrice financière (Pl. Fin.) ?

Prenons l’exemple de la distribution de produits financiers, tels que les placements ou les assurances, qui doit être réalisée par un représentant inscrit auprès de l’Autorité des marchés financiers (AMF). Le ou la Pl. Fin. qui n’est pas inscrit dans ces disciplines peut-il faire une analyse et des recommandations sur les placements et les assurances de sa clientèle ?

Un second exemple est celui des juristes, comme les avocats et avocates et les notaires, qui peuvent formuler une opinion juridique. Le ou la Pl. Fin. qui n’est pas juriste peut-il formuler des recommandations sur les aspects légaux et successoraux dans le cadre de son travail ?

Il y a également la Loi sur le Barreau qui permet aux membres de l’Ordre des comptables professionnels agréés du Québec (CPA) de donner des avis et des consultations sur toute question d’ordre fiscal. Le ou la Pl. Fin. qui n’est pas CPA peut-il faire l’analyse de la situation fiscale d’une personne afin de lui soumettre des recommandations ?

Une analogie fréquemment utilisée en planification financière est celle du généraliste qui a une vue d’ensemble sur la situation de ses clients et clientes, et qui peut les diriger vers les bons spécialistes selon leurs besoins. En agissant comme les généralistes, vous vous assurez de demeurer dans le carré de sable de la planification financière. Mais comment établir les limites de cet espace ? Un ou une Pl. Fin. outrepasserait-il son mandat s’il formulait des recommandations sans posséder toutes les compétences pour émettre une opinion sur le sujet ?

Comme vous pouvez le constater, les questions sont nombreuses. Ce texte a pour objectif de définir les contours de ce carré de sable, c’est-à-dire le cadre juridique dans lequel peuvent évoluer celles et ceux qui travaillent en planification financière en plus des bonnes pratiques à adopter.

L’exercice de la planification financière

La planification financière n’est pas encadrée par un ordre professionnel, mais son exercice est réglementé par l’AMF, qui émet un certificat aux personnes inscrites dans la discipline de la planification financière. Il s’agit donc d’une activité à titre réservée. Autrement dit, « nul ne peut utiliser le titre de planificateur financier ni se présenter comme offrant des services de planification financière à moins d’être titulaire d’un certificat délivré à cette fin par l’Autorité [AMF]1.

Notez également que l’utilisation « de titres similaires à celui de planificateur financier ou les abréviations de ces titres2 » ne peut se faire que par des personnes inscrites en planification financière auprès de l’AMF.

Il existe une exception pour les avocats et avocates, les notaires, les comptables ainsi que les administrateurs et administratrices agréés qui sont titulaires d’un diplôme en planification financière de l’Institut de planification financière (Institut). Ces derniers peuvent utiliser le titre de Pl. Fin. conformément à l’entente négociée entre leur ordre professionnel et l’Institut3.

Bien que la Loi sur la distribution des produits et services financiers (LDPSF) définisse qui peut utiliser le titre de Pl. Fin. et qui peut offrir des services de planification financière, rien dans la Loi ne définit ce qu’est la planification financière. L’absence d’un tel cadre légal peut créer un certain flou quant au rôle et aux limites des Pl. Fin., un flou qui s’étend également aux personnes qui ne possèdent pas ce titre et qui doivent s’assurer que leurs services ne sont pas considérés comme étant de la planification financière.

L’Institut a rédigé des normes professionnelles4 visant à définir ce qu’est la planification financière. Bien que ces normes ne constituent pas un cadre légal, elles contiennent, entre autres, une définition de la planification financière, les sept domaines d’intervention ainsi que le profil et les compétences nécessaires pour travailler en planification financière.

De plus, il est important de mentionner que, selon l’article 8 du règlement sur l’exercice des activités des représentants et représentantes, « le planificateur financier ne peut rendre des services de planification financière offerts à ce titre que s’il a préalablement rédigé un mandat5 ». Donc, une personne inscrite auprès de l’AMF à titre de Pl. Fin. ne peut faire de planification financière ni intervenir sur l’un ou l’autre des sept champs de la planification financière en l’absence d’un mandat, qui doit par ailleurs être signé par le client ou la cliente. Une intervention, même mineure, sur l’un des sept champs de la planification financière, pourrait constituer une planification financière partielle selon l’Institut de planification financière. Vous constaterez qu’en l’absence d’un mandat, la taille du carré de sable est considérablement réduite.

La distribution de produits et services financiers, y compris les valeurs mobilières

La LDPSF a comme objectif d’encadrer le travail des représentants et représentantes en assurance (assurance de personnes, assurance collective et assurance de dommages), des experts et expertes en sinistre, des Pl. Fin., ainsi que des courtiers et courtières hypothécaires.

Le Règlement sur les valeurs mobilières (RVM), quant à lui, régit le travail de plusieurs personnes œuvrant dans le milieu des valeurs mobilières, comme les courtiers et courtières en épargne collective, les courtiers et courtières en plans de bourses d’études, les gestionnaires de portefeuille ainsi que les courtiers et courtières en placement.

L’AMF est responsable du respect de la LDPSF et du RVM. Elle peut procéder à des activités d’inspection auprès des personnes et des entités inscrites afin de s’assurer que les représentantes et représentants inscrits respectent le cadre réglementaire lors de la distribution de produits et de services financiers. 

Selon la LDPSF et le RVM, il n’y a que les représentantes et représentants inscrits qui peuvent distribuer des produits financiers selon leur inscription. Par exemple, un Pl. Fin. qui n’est pas inscrit comme représentant ou représentante en sécurité financière ne peut offrir une assurance vie à sa clientèle. Cependant, aucune loi ne l’empêche de prodiguer des conseils sur des produits financiers. Il pourrait donc, par exemple, conseiller à son client ou à sa cliente de souscrire une assurance vie, mais la protection d’assurance devra être offerte par une personne dûment inscrite.

Il faut toutefois agir avec prudence. Le travail fait par un ou une Pl. Fin. ne dispense pas le représentant ou la représentante offrant le produit financier de ses obligations réglementaires. Reprenons l’exemple d’un ou d’une Pl. Fin. qui aurait conseillé à son client ou sa cliente de souscrire une assurance vie avant de le diriger vers un représentant ou une représentante en sécurité financière inscrit auprès de l’AMF. Le représentant ou la représentante en sécurité financière devra, malgré l’analyse faite par le Pl. Fin., procéder à une analyse des besoins du client ou de la cliente. Si son analyse diffère de celle du ou de la Pl. Fin., ce sera l’analyse du représentant ou de la représentante en sécurité financière qui prévaudra.

La même logique s’appliquerait à un Pl. Fin. qui procéderait à une analyse du portefeuille de placements d’un client ou d’une cliente. Si le Pl. Fin. n’est pas inscrit auprès de l’AMF pour réaliser certaines transactions et qu’il dirige son client ou sa cliente vers un courtier ou une courtière en placement dûment inscrit, ce dernier ou cette dernière devra déterminer la convenance des placements et définir le profil du client ou de la cliente avant de lui offrir une solution d’investissement.

L’objectif ici n’est pas de limiter votre carré sable, mais comme certaines de vos recommandations pourraient être revues si vous n’êtes pas inscrit dans certaines disciplines, il pourrait être sage de travailler en étroite collaboration avec les personnes inscrites qui procéderont aux transactions. Les clients et clientes pourraient avoir une mauvaise perception de votre travail si vos recommandations étaient modifiées par une tierce personne.

L’avis ou l’opinion d’ordre juridique6

Selon l’article 128 de la Loi sur le Barreau, seuls « l’avocat en exercice ou le conseiller en loi » peuvent « donner des consultations et avis d’ordre juridique7 ». Les notaires ont également des pouvoirs similaires. Selon l’article 10 de la Loi sur le notariat, « le notaire est un conseiller juridique8 ». Dans la même Loi, à l’article 15, il est indiqué que le notaire peut « donner des avis ou des consultations d’ordre juridique9 ».

L’avis ou l’opinion d’ordre juridique est un acte réservé aux juristes. Les Pl. Fin. qui ne sont pas juristes ne peuvent émettre de tels avis, et ce, même si les aspects légaux et la succession font partie des sept domaines d’intervention en planification financière.

Faut-il en conclure que vous devriez vous abstenir d’aborder un sujet d’ordre juridique ? Non, bien au contraire. Toutefois, vous devriez vous limiter à fournir de l’information ou des renseignements d’ordre juridique et éviter de fournir un avis ou une opinion sur une situation de nature juridique.

Comment différencier une opinion juridique d’une information juridique ? Bien qu’il ne soit pas toujours facile de tracer la ligne entre l’opinion et l’information, la jurisprudence peut nous éclairer sur cette question. Dans la cause Charlebois c. Barreau du Québec10, les juges citent le passage suivant :

L’« information juridique » consiste à donner des réponses à propos du droit en général, sur les options offertes, les processus judiciaires élémentaires et, de façon plus dangereuse, sur la façon dont le droit « pourrait » s’appliquer ou s’applique « habituellement ». En revanche, l’« avis ou le conseil juridique » consiste à donner des réponses personnalisées sur la façon dont le droit s’appliquerait à un cas particulier ou l’option qu’une personne devrait choisir ou le résultat probable qu’elle obtiendrait.

Voici quelques exemples permettant de différencier l’avis ou opinion juridique de l’information juridique :

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Situations s’apparentant à un avis ou à une opinion d’ordre juridique

Situations s’apparentant à une information d’ordre juridique

1

Mentionner à un client ou une cliente que son mandat de protection est désuet.

Mentionner à un client ou une cliente que son mandat de protection a été fait il y a plusieurs années et qu’il ou elle aurait avantage à consulter un ou une notaire pour le réviser.

2

Mentionner à un client ou une cliente qu’elle devrait inclure des fiducies testamentaires pour ses enfants dans son testament.

Mentionner à un client ou une cliente qu’une fiducie testamentaire est un outil pouvant être utilisé pour protéger ses enfants à la suite d’un décès.

3

Mentionner à un client ou une cliente que les clauses de sa convention entre actionnaires ne sont pas adaptées à la situation de son entreprise.

Recommander à un client ou une cliente de consulter un juriste pour déterminer si la convention entre actionnaires est toujours à jour.

Généralement, pour éviter de fournir une opinion juridique, mieux vaut diriger les clients et clientes à des juristes qui pourront bien les accompagner ou les inviter à consulter des textes de loi ou des publications pertinentes.

À titre de Pl. Fin., vous avez possiblement eu l’occasion, durant votre carrière, de consulter différents documents légaux et dû faire face à diverses situations de nature légale. Fort de cette expérience, il est probable que vous soyez en mesure de déceler certains problèmes sur le plan juridique. Cependant, plutôt que de formuler une opinion, faites preuve de prudence. Vous pouvez exprimer vos inquiétudes à votre client ou cliente, mais il est préférable de leur recommander de consulter un juriste, plutôt que d’apporter vous-même des réponses juridiques.


6 Inspiré de : Limites à la pratique de la fiscalité en vertu de la Loi sur le Barreau, Vincent Dionne et Réa Hawi, Congrès annuel de l’APFF 2024

7 Loi sur le Barreau, article 128.1. a).

8 Loi sur le notariat, article 10.

9 Loi sur le notariat, article 15.

10 Charlebois c. Barreau du Québec, 2012 QCCA 788, 30 avril 2012

L’avis ou la consultation d’ordre fiscal11

Les règles fiscales sont définies dans des lois, et fournir une opinion à leur sujet pourrait également être perçu comme un avis ou une opinion d’ordre juridique. Toutefois, seuls les juristes sont habiletés à produire des avis et des opinions d’ordre juridique.

Il existe toutefois une exception pour les CPA. L’article 141 de la Loi sur le Barreau prévoit ce qui suit : « Rien dans la présente loi n’interdit aux membres de l’Ordre des comptables professionnels agréés du Québec, dans les limites prévues par la Loi sur les comptables professionnels agréés, de donner des avis et des consultations sur toute question d’ordre financier, administratif ou fiscal, de préparer et de soumettre, à qui de droit, des projets d’administration, d’organisation et de réorganisation financières ou fiscales, de préparer et de soumettre des études, états, rapports ou déclarations de même nature, y compris les rapports d’impôt de tous genres, de discuter avec toutes personnes ayant autorité en la matière de toutes cotisations en matière d’impôt de nature quelconque, de même que de préparer et donner avis d’appel au ministre du Revenu du Québec et au ministre du Revenu national du Canada et de discuter avec eux et leurs représentants du bien-fondé des cotisations imposées à leurs clients en matière d’impôt.12 »

Comme vous pouvez le constater, l’exception prévue pour les CPA est assez large. Toutefois, cette exception est limitée aux CPA et ne vise pas les Pl. Fin.

Encore une fois, ces restrictions peuvent sembler limitatives, mais il faut garder en tête qu’elles visent des activités à caractère juridique. Par exemple, interpréter un jugement de la Cour canadienne de l’impôt ou interpréter une loi fiscale afin de faire des recommandations à votre clientèle pourraient être perçus comme des avis fiscaux. Cela dit, vous pouvez vous appuyer sur une loi fiscale pour faire des recommandations. Nous parlerons alors d’optimisation financière et fiscale.

Voici quelques exemples permettant de différencier l’avis ou la consultation fiscale de l’optimisation financière et fiscale :

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Situations s’apparentant à un avis ou à une consultation d’ordre fiscal

Situations s’apparentant à de l’optimisation financière et fiscale

1

Faire une revue de la jurisprudence afin de déterminer si la résidence de votre client ou cliente peut se qualifier à titre de résidence principale.

Calculer laquelle des deux résidences de votre client ou cliente devrait être désignée à titre de résidence principale aux fins fiscales.

2

Analyser le mémo fiscal reçu par votre client ou cliente afin d’en évaluer sa pertinence.

Utiliser l’information contenue dans le mémo fiscal reçu par votre client ou cliente afin d’ajuster vos projections financières.

3

Donner votre avis à un client ou une cliente sur l’application de la règle générale anti-évitement lors de la vente de son entreprise.

Émettre des doutes sur la validité de la transaction fiscale lors de la vente de l’entreprise de votre client ou votre cliente et lui conseiller de consulter un ou une spécialiste afin d’obtenir une seconde opinion.


11 Inspiré de : Limites à la pratique de la fiscalité en vertu de la Loi sur le Barreau, Vincent Dionne et Réa Hawi, Congrès annuel de l’APFF 2024

12 Loi sur le Barreau, article 141.

Respect du champ d’expertise

Vous avez fait signer un mandat à vos clients et clientes pour produire une planification financière. Vous vous assurez que vos recommandations n’outrepassent pas le cadre légal expliqué précédemment dans ce texte. Après avoir pris ces précautions, vous est-il possible d’aborder n’importe quel sujet, peu importe votre niveau d’expertise en la matière ? Sans surprise, la réponse est non. Vous devez vous assurer d’avoir une maîtrise suffisante des sujets abordés dans la planification financière que vous présentez à vos clients et clientes.

Comme Pl. Fin., vous devez respecter le Code de déontologie de la Chambre de la sécurité financière. Plusieurs articles de ce code de déontologie visent à limiter vos interventions auprès de vos clients et clientes à vos champs de compétence. En voici quelques articles importants (nos soulignés) :

  • Article 9 : « Dans l’exercice de ses activités, le représentant doit tenir compte des limites de ses connaissances ainsi que des moyens dont il dispose. Il ne doit pas notamment entreprendre ou continuer un mandat pour lequel il n’est pas suffisamment préparé sans obtenir l’aide nécessaire. »
  • Article 10 : « Le représentant doit s’abstenir de toute fausse représentation quant à son niveau de compétence ou quant à l’efficacité de ses services ou quant à ceux de son cabinet ou de sa société autonome. »
  • Article 12 : « Le représentant doit agir envers son client ou tout client éventuel avec probité et en conseiller consciencieux, notamment en lui donnant tous les renseignements qui pourraient être nécessaires ou utiles. Il doit accomplir les démarches raisonnables afin de bien conseiller son client. »
  • Article 15 : « Avant de renseigner ou de faire une recommandation à son client ou à tout client éventuel, le représentant doit chercher à avoir une connaissance complète des faits. »

Vous devez être en mesure de connaître votre champ d’expertise et de fixer par vous-même les limites de votre carré de sable. Afin d’offrir un service de grande qualité, entourez-vous de professionnelles ou professionnels spécialisés dans divers domaines vers qui vous pourrez diriger vos clients et clientes lorsque vous n’avez pas les compétences nécessaires pour répondre à leurs questions. Rappelez-vous que votre rôle est d’agir comme un ou une généraliste et que personne ne peut être expert ou experte dans tous les domaines d’intervention de la planification financière.

Vos clients et clientes vous seront reconnaissants de les accompagner dans leur planification financière, que vous répondiez à leurs questions d’ordre général ou que vous les dirigiez vers les bons spécialistes en cas de questions plus pointues. N’oubliez pas qu’indépendamment du cadre légal qui peut limiter certaines de vos interventions, nous avons l’obligation d’agir dans l’intérêt de nos clients et clientes tout en respectant notre code de déontologie.

Et vous, où s’arrête votre carré de sable ?

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