Dans le cas de la succession, non seulement elle bénéficie de la gradation des taux d’imposition, mais elle demeure autorisée à choisir sa fin d’exercice, elle profite de l’exemption d’impôt minimum des particuliers et elle n’est pas tenue de verser des acomptes provisionnels.
Cependant, comme toutes les fiducies et contrairement à ce qui s’appliquait jusqu’au 31 décembre 2015, la succession ne peut pas s’imposer sur un revenu qui a été payé ou est devenu payable à un bénéficiaire au cours de l’exercice3.
Ces avantages sont toutefois limités pour une durée maximale de 36 mois suivant le décès, ce qui signifie qu’ils peuvent s’appliquer sur un maximum de quatre exercices financiers, du moment que la première année fiscale de la succession soit stratégiquement écourtée4.
Comme l’avantage est d’une durée limitée, plusieurs liquidatrices et liquidateurs de succession s’interrogent sur l’opportunité de prolonger la période de liquidation de la succession pour en faire bénéficier les héritières et héritiers au maximum.
1 Interprétation technique 2017-0703921C6 -- 2017 CPA Alberta Q25 : Estates—income paid or payable, 14 septembre 2017 et Interprétation technique 2011-0411841C6 « Succession » — 7 octobre 2011.
2 Jusqu’au 31 décembre 2015, toute « fiducie testamentaire » bénéficiait d’une série de mesures fiscales avantageuses. Le terme « fiducie testamentaire » est défini au paragraphe 108 (1) de la Loi de l’impôt sur le revenu du Canada, L.R.C. (1985), 2e suppl., ch. 1 (ci-après : « LIR »). Dans le cadre du présent texte, toute référence à une disposition de la loi fédérale vaut aussi référence aux articles correspondants de la loi québécoise (Loi sur les impôts, L.R.Q., c. I -3 [ci-après : « LIQ »]), qui sont généralement harmonisés, à moins d’indication contraire.
3 Paragraphe 104 (13,3) LIR qui rend invalide tout choix en vertu des paragraphes 104 (13,1) et 104 (13,2) LIR, si ces choix ont pour effet de rendre le revenu de la fiducie fiscale pour l’année supérieur à zéro.
4 Interprétation technique 2015-0572131C6 -- 2015 STEP Q1 — Tax year of graduated rate estate, 18 juin 2015.
Avantage théorique dans une réalité pratique
Quiconque a déjà agi à titre de liquidatrice ou liquidateur d’une succession avouera qu’il est difficile, voire impossible, de faire patienter des héritières ou héritiers ! Durant toute la durée prévue de sa charge, la liquidatrice ou le liquidateur devra composer avec la pression des héritières ou héritiers pour distribuer les actifs qu’ils ont parfois déjà dépensés.
Juridiquement, la liquidatrice ou le liquidateur d’une succession exerce la saisine des héritières ou héritiers et légataires à titre particulier « pendant le temps nécessaire à la liquidation »5. Elle ou il est le seul à pouvoir agir sur les biens ayant appartenu à la défunte ou au défunt et peut même revendiquer ces biens contre ces héritières ou héritiers et légataires. La saisine a pour objet de permettre à la liquidatrice ou au liquidateur d’exécuter ses obligations qui consistent grossièrement à dresser un inventaire6 pour permettre aux successibles d’opter7 et à réaliser les biens dans la mesure nécessaire au paiement des dettes et des legs à titre particulier8.
Suivre à la lettre les règles prescrites par le Code civil du Québec pour la liquidation de la succession accorde une protection considérable aux successibles qui bénéficient ainsi de la « séparation des patrimoines »9. Ce principe veut que les héritières ou héritiers ne soient pas tenus aux dettes de la défunte ou du défunt au-delà de la valeur des biens qu’ils recueillent10. De plus, les biens de la succession ne peuvent servir au paiement des dettes personnelles des héritiers tant que la liquidatrice ou le liquidateur en conserve la saisine.
C’est d’ailleurs cette prérogative, la saisine du liquidateur, qui permet à la Cour Suprême du Canada d’affirmer : « qu’un légataire a le droit d’exiger le paiement de ce qui lui est dû par l’exécuteur testamentaire, sans égard au montant qui lui a été versé ou non, une fois seulement que la saisine de l’exécuteur aura pris11 fin ». En d’autres termes, les revenus et gains générés par le patrimoine successoral ne peuvent être considérés comme payables aux héritières ou héritiers qu’une fois que la liquidatrice ou le liquidateur aura abandonné sa saisine sur ceux-ci.
Fiscalement, la liquidatrice ou le liquidateur doit voir à produire les déclarations de revenus du défunt pour l’année du décès et celles de la succession pour chacun de ses exercices financiers. Il doit aussi s’assurer d’obtenir les autorisations à distribuer les biens12 de l’Agence du revenu du
Québec et les certificats de décharge13 de l’Agence du revenu du Canada, s’il ne veut pas être responsable personnellement des sommes dues par ces contribuables en vertu des lois fiscales.
En raison des délais associés à ces démarches légales et fiscales, il n’est pas rare qu’un processus de liquidation d’une succession selon « les règles de l’art » s’échelonne sur une durée de 18 à 24 mois suivants le décès. Toutefois, exceptionnellement, la durée de la liquidation peut atteindre 36 mois ou plus.
Financièrement, la liquidatrice ou le liquidateur d’une succession devra ouvrir un compte de succession pour gérer les entrées de fonds provenant de prestations payables au défunt, ainsi que du produit de la vente de certains biens, et pour consolider l’actif successoral. Or, il est fort probable que dans la majorité des cas, le profil d’investisseur relié au compte de la succession aura un horizon de placement à court terme, une tolérance aux risques relativement faible et qu’il y aura des paiements et des ponctions de capital à faire sur une base régulière.
Dans ce contexte, l’avantage fiscal attendu grâce à la disponibilité des taux d’imposition progressifs des particuliers n’est souvent que théorique.
En effet, comment les biens de la défunte ou du défunt pourront-ils générer des revenus importants s’ils sont investis dans des solutions à court terme ? Comment la succession pourra-t-elle s’imposer sur des revenus substantiels si le capital sert à payer rapidement les dettes, legs à titre particuliers et impôts, et si les héritiers demandent des remises de capital aussitôt qu’il est légalement et fiscalement possible pour la liquidatrice ou le liquidateur d’y consentir ?
L’avantage escompté réside dans l’écart entre le taux d’imposition marginal des héritières ou des héritiers et le taux moyen payable dans la succession sur les revenus qui peuvent y être imposés, parce qu’ils demeurent sous la saisine de la liquidatrice ou du liquidateur.
L’unique façon de pleinement profiter de cet avantage consisterait à investir les liquidités de la succession dans un portefeuille au profil de risque plus audacieux et à reporter autant que possible les paiements aux légataires ainsi que les remises aux héritières ou héritiers, dans les limites permises par la loi, évidemment. Une telle stratégie pourrait d’ailleurs entraîner la responsabilité du liquidateur ou de la liquidatrice14 en cas de perte de valeur des investissements, à moins que la décision ait été prise avec l’accord de tous les légataires et héritiers ou héritières, dûment informés des risques.
5 Art. 777 du Code civil du Québec, RLRQ 1991, c. 64, ci-après : C.c.Q.
6 Art. 794 à 801 C.c.Q.
7 Art. 630 à 652 C.c.Q.
8 Art. 804 C.c.Q.
9 Art. 780 C.c.Q.
10 Art. 782 C.c.Q.
11 Hall c. Québec (Sous‑ministre du Revenu), [1998] 1 R.C.S. 220
12 Art. 14 de la Loi sur l’administration fiscale, RLRQ c A-6.002
13 Par. 159 (2) LIR
14 Voir notamment : Bell c. Molson, 2015 QCCA 583 où la Cour d’appel du Québec a retenu la responsabilité des fiduciaires pour des pertes en capital de 1,3 millions de dollars subies dans le portefeuille de placements d’une fiducie en raison d’une surpondération dans des titres technologiques au moment de l’éclatement de la bulle technologique en 2000.
Des limites à étirer indûment le processus
En supposant que la liquidatrice ou le liquidateur soit en présence de légataires et d’héritières ou héritiers patients, qui n’ont pas besoin des liquidités de la succession pour subvenir à leurs besoins ou pour rembourser des dettes, elle ou il demeure limité dans ce qu’elle ou il peut faire pour prolonger le processus, tant d’un point de vue légal que fiscal.
D’abord, l’article 819 C.c.Q. prévoit que « la liquidation est achevée lorsque les créanciers et légataires particuliers connus ont été payés ou que le paiement de leurs créances et legs est autrement réglé, ou pris en charge par des héritiers ou des légataires particuliers. Elle l’est aussi lorsque l’actif est épuisé ». Le partage successoral n’est pas sous la responsabilité de la liquidatrice ou du liquidateur15, sauf si la testatrice ou le testateur l’a prévu autrement16. Prolonger la liquidation de la succession au-delà de ce délai aurait pour effet d’accroître la charge et la responsabilité de la liquidatrice ou du liquidateur17 et d’exposer la succession aux risques de recevoir une réclamation d’une créancière ou d’un créancier tardif18.
De plus, les autorités fiscales se sont prononcées à au moins deux reprises19 indiquant que si la liquidation de la succession est terminée, mais que la liquidatrice ou le liquidateur retient les sommes sous sa saisine, elles pourraient considérer que les revenus sont payables, qu’il n’y a plus de « succession » et donc que les revenus sont imposables entre les mains du bénéficiaire et non de la succession.
15 Art. 838 C.c.Q. : « Si tous les héritiers sont d’accord, le partage se fait suivant la proposition jointe au compte définitif du liquidateur ou de la manière qu’ils jugent la meilleure. »
16 Art. 837 C.c.Q.
17 Art. 819 et 822 C.c.Q.
18 Art. 816 C.c.Q.
19 Voir note 1 : Interprétation technique 2017-0703921C6 -- 2017 CPA Alberta Q25 : Estates—income paid or payable, 14 septembre 2017 et Interprétation technique 2011-0411841C6 « Succession » — 7 octobre 2011.
Une exception notable : la présence d’une société par actions à capital fermé
Il existe peu de scénarios où la liquidation d’une succession peut validement s’étendre sur une durée égale ou supérieure à 36 mois. Ce serait le cas, notamment, si la succession est sujette à des litiges dont l’issue est incertaine, s’il s’avère complexe et contre-indiqué de disposer rapidement de certains actifs comme des actions d’une société privée opérante, des immeubles à revenus résidentiels ou commerciaux, d’une exploitation agricole ou de biens situés dans une juridiction étrangère.
En outre, si une planification fiscale post mortem est mise en place pour éviter une double imposition découlant de la disposition réputée des actions d’une société privée, alors qu’il sera vraisemblablement impossible de vendre ces actions à un tiers, il est probable que certaines structures corporatives doivent être maintenues pour une certaine durée20, retardant de ce fait une distribution aux héritières ou héritiers.
Dans ces cas, la liquidation de la succession n’est pas indûment prolongée et la liquidatrice ou le liquidateur sera justifié de continuer à imposer des revenus dans la succession aux taux progressifs, jusqu’à ce que ces actifs puissent être liquidés.
Si, pendant la période où la succession doit conserver la structure, les sociétés privées génèrent des profits intéressants et que ces profits peuvent être versés à la succession sous forme de dividendes imposables, les héritiers et héritières pourraient, dans certains cas, économiser des milliers de dollars en impôts.
20 Nous pensons notamment aux exigences administratives de l’Agence du revenu du Canada dans le contexte de transactions post-mortem de type « pipeline » ou hybrides. L’interprétation technique 2018-0748381C6 — STEP 2018 — Q10 – Pipeline ruling requests du 29 mai 2018 résume succinctement la position administrative de l’ARC et réaffirme l’exigence de conserver la structure corporative résultant de la planification pendant au moins 12 mois avant de commencer à rembourser un billet émis à la succession par une société à laquelle la succession aura vendu une ou plusieurs des actions qu’elle détenait dans une société privée à la suite du décès.
Conclusion
Les lois fiscales ne créent pas des droits, elles attribuent des conséquences à l’exercice de certains droits. Ainsi, la durée pendant laquelle une succession peut bénéficier des taux d’imposition progressifs des particuliers est limitée d’abord par sa propre situation de faits et de droit. La durée de la liquidation de la succession n’est pas un choix, elle est tributaire des circonstances. Si la période de liquidation perdure, la disponibilité des taux progressifs sera limitée à 36 mois suivant le décès. Toutefois, si toutes les étapes de la liquidation sont achevées avant l’expiration de ce délai, les autorités fiscales ont statué que les taux progressifs ne seraient pas disponibles au-delà de la période requise pour compléter les opérations. Prolonger indûment cette période n’aurait donc pas l’avantage escompté.
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