Aspects légaux et succession

François Archambault

Pl. Fin., M. Fisc, DDN, LL. B., B.A.A., Adm.A.

Directeur principal du centre d’expertise

Banque Nationale, Gestion privée 1859

La donation comme outil de planification successorale

Avec la hausse du coût de la vie et l’accès à la propriété immobilière devenu plus difficile, en raison de l’augmentation du prix des résidences, beaucoup de clients et clientes, dans le cadre de leur planification successorale, désirent soutenir leurs enfants de leur vivant plutôt que d’attendre un transfert de patrimoine au moment du décès.

Par ailleurs, certaines personnes mariées désirent léguer leurs biens en parts égales à leurs enfants. Or, la succession peut parfois être créancière d’une créance découlant du patrimoine familial. Comme ce droit est transmissible, il est possible d’en faire une donation à cause de mort irrévocable, non pas des biens du patrimoine familial eux-mêmes, mais bien des droits qui en découlent (et), en faveur de la conjointe ou du conjoint survivant.

Une telle donation permet de s’assurer que nulle autre personne que la personne désignée et créancière à l’égard de la créance du patrimoine familial ne pourra exercer l’option relative au partage de la valeur du patrimoine familial à la suite du décès de l’un des époux, si telle est la volonté du donateur ou de la donatrice. Dans ces situations, la donation est donc une option à envisager.

La donation1 est un contrat par lequel une personne (le donateur ou la donatrice) transfère gratuitement la propriété d’un bien à une autre (le ou la donataire). Ce transfert peut aussi porter sur un démembrement du droit de propriété ou sur tout autre droit dont le donateur ou la donatrice est titulaire.


1 Article 1806 C.c.Q.

Les types de donations

La donation peut être faite du vivant (donation entre vifs) ou au décès (donation à cause de mort). Elle est soumise à un régime général qui distingue clairement ces deux formes. Il est important de bien qualifier le type de donation, car les règles de droit applicables à celle-ci sont différentes selon qu’il s’agit d’une donation entre vifs ou d’une donation à cause de mort.

En pratique, faire la distinction entre les deux donations peut s’avérer un exercice difficile. Les principaux critères jurisprudentiels afin de déterminer le type de donation sont :

  • les termes utilisés,
  • l’intention des parties
  • et le dessaisissement du bien donné.

Dans le cas d’une donation entre vifs, le donateur ou la donatrice se départit de la propriété du bien de façon immédiate, même si le don n’est transféré ou payable qu’au décès. Le décès constitue alors un simple terme (soit une échéance) pour payer la donation.

Exemple : dans son contrat de mariage, le client ou la cliente prévoit la donation d’une somme de 25 000 $ en faveur de son conjoint ou de sa conjointe payable au plus tard à son décès. Bien que le paiement soit différé, il s’agit d’une donation entre vifs, puisque l’engagement est immédiat et ferme.

Au contraire, si l’engagement du donateur ou de la donatrice ne prend effet qu’au moment de son décès, autrement dit si le décès est une condition d’existence de la donation, celle-ci sera considérée comme une donation à cause de mort.

La donation à cause de mort

La donation à cause de mort est assujettie, quant à la forme et aux conditions de validité, aux règles des donations prévues aux articles 1806 et suivants du Code civil du Québec (C.c.Q.). Toutefois, pour les effets de ce type de donation, ce sont les règles relatives aux testaments qui s’appliquent.

La donation à cause de mort ne peut exister qu’entre les personnes pouvant légalement bénéficier d’une donation entre vifs dans un contrat de mariage2. Elle est donc limitée aux époux, aux futurs époux, aux enfants respectifs, aux enfants communs ou aux enfants à naître.

Elle est ainsi liée au mariage ou à l’union civile et doit être faite par contrat de mariage3. Elle peut porter sur l’ensemble des biens du donateur ou de la donatrice (l’universalité des biens), une catégorie de biens, ou même sur un bien particulier. Ce qui la caractérise, c’est que le dessaisissement du donateur ou de la donatrice demeure subordonné à son décès et n’a lieu qu’à ce moment4.


2 Article 1840 C.c.Q.

3 Article 1819 C.c.Q.

4 Article 1808 C.c.Q.

La donation entre vifs

Selon l’article 1807 du C.c.Q., la donation entre vifs exige le dessaisissement actuel du donateur ou de la donatrice. Ce dernier ou cette dernière est débiteur envers le ou la donataire de façon véritable et irrévocable. Le dessaisissement repose sur une obligation formelle contractée par le donateur ou la donatrice, qui affecte son patrimoine dès la constitution de la donation.

Certaines modalités prévues dans l’acte de donation entre vifs ne portent pas atteinte au dessaisissement actuel. Il en est ainsi :

  • si le transfert d’un bien ou sa délivrance sont assortis d’un terme,
  • si le transfert porte sur un bien individualisé que le donateur ou la donatrice s’oblige à acquérir,
  • si le transfert affecte un bien déterminé quant à son espèce seulement, que le donateur ou la donatrice s’engage à délivrer ultérieurement.

La donation peut être directe ou indirecte.

La donation directe concerne tout autant la donation notariée, conforme aux exigences de forme prévues par le C.c.Q, que le don manuel, soit la remise matérielle d’un bien sans acte notarié.

La donation indirecte au sens large concerne tout autant la donation déguisée que la donation indirecte. Ces deux formes sont soustraites à l’exigence de l’acte notarié5.

La donation déguisée est faite sous l’apparence d’un acte d’une autre nature, généralement d’un contrat à titre onéreux, dans le but de dissimuler sa véritable nature. Par exemple, une reconnaissance de dette fictive, une vente pour un prix dérisoire ou une vente pour laquelle il est convenu que le prix ne sera pas payé. « Les donations déguisées recherchent une véritable libéralité sous les apparences d’un acte à titre onéreux. Elles sont une simulation; les parties dissimulent délibérément leurs intentions réelles6. »

La donation indirecte est un acte juridique entre vifs dont l’exécution opère une libéralité sans qu’il n’ait la forme d’une donation. Par exemple, la renonciation in favorem à une succession, la stipulation pour autrui, le paiement pour autrui, la remise de dette. « Dans la donation indirecte, il n’y a pas de simulation — on parle alors d’un acte “neutre” — ni de tentative de cacher l’intention libérale, contrairement à la donation déguisée qui, sous le couvert d’un acte à titre onéreux, cache en réalité un acte à titre gratuit7. »

Dans les deux cas, elle est sujette aux conditions de forme de l’acte juridique envisagé.

La donation directe demeure un contrat qui doit en principe être notariée en minute (acte authentique), sous peine de nullité absolue8. Cette exigence s’applique tant aux biens mobiliers qu’aux biens immobiliers.

Le don manuel constitue une donation directe d’un meuble corporel (par exemple un objet, de l’argent comptant) ou incorporel (comme un droit de créance). Il peut être fait sous forme verbale ou accompagné d’un écrit. Le don manuel exige la délivrance et la possession immédiate du bien. Ainsi, l’intention seule de donner du donateur ou de la donatrice ne suffit pas, et ce, même si elle est exprimée devant plusieurs témoins9.

Bien qu’il s’agisse d’une donation directe, le don manuel est valide, sans qu’il soit nécessaire de le formaliser par un acte notarié. Par exemple, le don d’une somme d’argent s’il y a délivrance et possession immédiate n’a pas à être fait par acte notarié pour être reconnu. Toutefois, même s’il n’y a pas d’exigence de l’acte notarié pour le don manuel, ce dernier est recommandé. Le donateur ou la donatrice et le ou la donataire en procédant par acte notarié pourront profiter des conseils avisés du notaire sur les conséquences du geste posé et sur la sécurité juridique qu’offre l’acte authentique.


5 Article 1811 C.c.Q.

6 Dictionnaire de droit privé et lexiques bilingues — Les successions (2023-12-01)

7 Supra note 7

8 Article 1824 C.c.Q.

9 Paquette c. Laurier, 2011 QCCA1228

La capacité juridique de donner et de recevoir

La capacité de donner et de recevoir est assujettie aux règles générales applicables à tout contrat et s’apprécient au moment de la conclusion du contrat. La capacité de contracter est présumée comme règle générale, l’incapacité étant l’exception10. La donation, comme contrat nommé, exige un échange de consentements entre personnes capables de contracter11. Le consentement est donné par une personne qui, au moment où elle contracte, est apte à contracter12. Le contrat de donation prend naissance au moment et au lieu où l’offrant reçoit l’acceptation13. Trois situations principales sont à considérer :

  • le mineur non émancipé,
  • le mineur émancipé
  • et le majeur.

10 Article 4 C.c.Q.

11 Article 1385 C.c.Q.

12 Article 1398 C.c.Q.

13 Article 1387 C.c.Q.

Le mineur non émancipé, même assisté de sa ou son tuteur, ne peut donner que des biens de peu de valeur ou des cadeaux d’usage14. Il peut accepter seul le don des cadeaux d’usage et des biens de peu de valeur. La donation acceptée par le mineur lui-même, sans aucune autorisation, est susceptible d’être annulée, à la demande du mineur, s’il parvient à démontrer qu’il en a subi un préjudice15.

Les père et mère agissant conjointement, tout comme le tuteur ou la tutrice, peuvent accepter la donation sans charge faite à un mineur, ou à un enfant à naître, sans avoir à obtenir l’autorisation du conseil de tutelle16. Par contre, la donation avec charge ne peut être acceptée qu’avec l’autorisation du conseil de tutelle17.


14 Article 1813 C.c.Q.

15 Article 163 C.c.Q.

16 Article 1814 C.c.Q.

17 Article 211 C.c.Q.

Dans le cas du mineur émancipé, ce dernier peut être simplement émancipé ou pleinement émancipé. Le mineur simplement émancipé peut donner des biens suivant ses facultés s’il n’entame pas notablement son capital18. Il doit être assisté de son tuteur ou sa tutrice pour accepter une donation avec charge19. Le mineur pleinement émancipé20 jouit d’une pleine capacité juridique, tout comme s’il était majeur. Ainsi, il n’y a pas de contraintes.


18 Article 172 C.c.Q.
19
 Article 173 C.c.Q.

20 Article 176 C.c.Q.

Le majeur n’a pas de restrictions, sauf s’il ne peut donner un consentement libre et éclairé. La capacité du majeur ne peut être limitée que par une disposition expresse de la loi ou par un jugement prononçant l’ouverture d’une tutelle au majeur, homologuant un mandat de protection ou autorisant la représentation temporaire du majeur inapte21.

Le majeur inapte, même représenté par son tuteur ou sa tutrice ou son ou sa mandataire ne peut donner que des biens de peu de valeur et des cadeaux d’usage, sous réserve des stipulations du mandat de protection et des règles relatives au contrat de mariage ou d’union civile22.

Seul le tuteur ou la tutrice ou le ou la mandataire peut accepter la donation faite à un majeur sous tutelle ou mandat de protection. Le majeur pourvu d’un tuteur ou d’une tutrice ou d’un ou d’une mandataire peut, néanmoins, accepter seul la donation de biens de peu de valeur ou de cadeaux d’usage23.


21 Article 154 C.c.Q.

22 Article 1813 C.c.Q.

23 Article 1814 C.c.Q.

Le client ou la cliente qui désire donner de son vivant doit évaluer l’impact de ce geste sur sa planification financière. La cliente ou le client a-t-il les moyens d’aider financièrement ses enfants ? Dans l’affirmative, si le client ou la cliente a aidé en faisant un don à l’un de ses enfants de son vivant, mais ne l’a pas fait pour ses autres enfants, afin d’être équitable, un legs compensatoire du montant donné pourrait être prévu dans son testament.

Il faut également évaluer l’impact fiscal lors du don d’un bien. Par exemple, si le client ou la cliente doit vendre une partie de son portefeuille d’investissement non enregistré afin d’avoir la liquidité à donner à son enfant, il y aura un impôt à payer dans l’année où le gain a été réalisé. De même, si le client ou la cliente donne un bien ayant accumulé de la plus-value à son enfant, il devra s’imposer sur le gain en capital dont le produit de disposition sera égal à la juste valeur marchande, car il s’agit d’une transaction avec lien de dépendance24.


24 Paragraphe 69 (1) LIR