Le Québec champion!

Par Charles Hunter-Villeneuve, M.Fisc., Pl.Fin., TEP

Champion de quoi exactement? Du taux de participation à la subvention canadienne pour l’épargne-études (SCEE), un montant offert par le gouvernement lors d’une cotisation au régime enregistré d’épargne-études (REEE).

Selon les dernières statistiques disponibles, pour l’année 2022, le taux de participation à la SCEE pour le Québec avoisinait les 60 %1! Pourtant, en 2000, le Québec était la dernière province avec un taux de participation d’environ 14 %2. Comment expliquer cette croissance? J’aurais trois pistes de réflexion.

Mais d’abord, rappelons-nous que le REEE est un régime d’épargne destiné à aider les gens à épargner pour les études d'un enfant après l'école secondaire. Il permet d’accumuler des sommes à l’abri de l’impôt, auxquelles s’ajoutent de généreuses subventions des gouvernements.

Au fédéral, la SCEE de 20 % existe depuis 1998. À cette dernière peut s’ajouter une SCEE supplémentaire ainsi que le Bon d’études canadien (BEC). Au Québec, l’Incitatif québécois à l’épargne-études (IQEE) de 10 % est en vigueur depuis 2007.

Le taux de participation à la SCEE se calcule comme suit :

Nombre d’enfants de 0-17 ans qui ont reçu un paiement de la SCEE au moins 1 fois durant l’année
                                                                                                                                                                            
    Nombre d’enfants de 0 à 17 ans durant l’année

Pourquoi le Québec est-il devenu champion du taux de participation à la subvention canadienne pour l’épargne-études (SCEE) ?

Voici mes trois pistes de réflexion :

1. Incitatifs et subventions

Québec offre depuis 2007 une subvention de 10 % qui s’ajoute à la subvention fédérale. Présentement, seulement la Colombie-Britannique offre également un incitatif provincial (depuis 2013), et cet incitatif est moins généreux que celui du Québec. L’Alberta en a offert un entre 2005 et 2015, tout comme la Saskatchewan entre 2013 et 20173. Ce dernier était même plus généreux que celui du Québec. Malgré les incitatifs offerts dans les autres provinces, le Québec se distingue par une croissance plus rapide du taux de participation à la SCEE sur plusieurs périodes étudiées.

Selon une étude4 de la Chaire en fiscalité et finances publiques de l’Université de Sherbrooke (CFFP), qui visait à comparer le revenu des familles des différentes provinces, le Québec se classait 6e parmi les 10 provinces et sous la moyenne canadienne. D’ailleurs, en termes de cotisation en dollars au REEE, le Québec est 4e et 8e en actifs moyens dans le REEE. Nous ne cotisons donc pas davantage que les autres provinces en dollars, mais nous sommes plus nombreux à cotiser.

En plus de la SCEE de base de 20 %, il existe la SCEE supplémentaire si le revenu familial est inférieur à 111 733 $ en 2024. Est-ce que le fait que plus de familles québécoises se qualifient pour la SCEE supplémentaire les incite davantage à cotiser au REEE?

D’une part, les familles québécoises ont droit à une subvention provinciale de 10 %, et d’autre part elles seraient possiblement plus susceptibles de bénéficier de la subvention fédérale supplémentaire (et même du BEC). Cela pourrait expliquer en partie le nombre de participations croissantes, mais ne saurait justifier, à mon avis, le taux de participation plus faible des autres provinces. Comme mentionné précédemment, même les provinces ayant offert leurs propres incitatifs n’ont pas obtenu un taux de croissance aussi élevé que celui du Québec. De plus, même avec seulement la SCEE de 20 %, cela demeure un excellent placement! D’ailleurs, l’Ontario, province ayant le deuxième revenu le plus élevé représentatif pour une famille de la classe moyenne, même si elle n’a jamais eu d’incitatif provincial, arrivait devant le Québec jusqu’en 2018 inclusivement. Il demeure donc difficile de conclure sur la base du seul argument des incitatifs!

2. Paradis des familles au Québec

Toujours selon l’étude de la CFFP5, en termes de revenu disponible cette fois, c’est-à-dire, le revenu après impôt, cotisations sociales, allocations familiales et paiement des frais de garde d’enfants, il en ressort les faits suivants:

  • Pour les familles de la classe moyenne dont au moins un enfant fréquente un service de garde, c’est au Québec que les familles conservent la plus grande proportion du revenu gagné, comme c’était d’ailleurs le cas en 2008 et en 2018. Il en reste plus dans les poches des familles québécoises que n’importe où ailleurs au Canada.
  • Pour les familles monoparentales dont aucun enfant ne fréquente un service de garde, le Québec fait bonne figure et se classe au 3e rang.

Le revenu disponible est donc plus élevé pour les familles québécoises en raison de ses allocations familiales plus généreuses, de ses frais de garde moins élevés et de ses crédits d’impôt pour les frais de garde. Ayant plus d’argent dans leurs poches, ils pourraient possiblement être davantage en mesure de cotiser à un REEE surtout pour ceux dont un enfant fréquente un service de garde. Cet argument peut possiblement expliquer en partie la croissance annuelle de participation au REEE. 

3. Littératie financière

En 2020, Statistique Canada a étudié pourquoi certaines familles participaient moins au REEE selon leur revenu. Ils ont découvert que les différences de richesse entre les familles expliquaient entre 50 % et 79 % de cet écart. Ils ont également noté que la littératie financière, c'est-à-dire la connaissance des finances, jouait un rôle, mais de manière plus limitée, représentant seulement entre 13 % et 19 % de la différence6. 

Sans vouloir contredire Statistique Canada sur l’importance de la littératie financière pour le taux de participation au REEE, se pourrait-il que l’on parle plus souvent du REEE au Québec qu’ailleurs au Canada depuis la dernière décennie?

Par exemple, l’émission Zone économie, qui parle souvent du REEE, semble unique au Québec. Et que dire du vulgarisateur économique Pierre-Yves McSween? Son best-seller "En as-tu vraiment besoin" publié en 2016, et vendu à plus de 250 000 exemplaires au Québec, fait l’éloge des avantages du REEE!

D’ailleurs, une étude sur la littératie fiscale de la Chaire en 20207 souligne que parmi les participants interrogés, la performance des répondants québécois est globalement un peu plus élevée que celles des répondants des autres provinces canadiennes.

Une autre explication résiderait-elle dans le Printemps érable de 2012 qui aurait sensibilisé les parents aux coûts des études postsecondaires? Ce n’est qu’une hypothèse parmi d’autres!

«Être premier » est-cela le plus important?

L’important, c’est de continuer d’en parler. Nous savons que chaque province est différente, et beaucoup de facteurs entrent en jeu. Je pense qu'il faut voir cela comme une belle progression, résultat de plusieurs années d'efforts en éducation au Québec. Que ce soit grâce à une forte volonté politique, de l'IQEE, à des politiques fiscales familiales plus généreuses, ou à des conseillers et conseillères et à des planificateurs financiers et planificatrices financières mieux formés, tout cela a contribué, et contribue toujours, à améliorer les connaissances financières des Québécois et Québécoises. À quoi peuvent bien servir des subventions et des incitatifs si la clientèle visée n’est même pas au courant ou n’y comprend rien!

Un cours d’éducation financière a même fait son apparition pour les élèves de secondaire 5 en 2017. C’est une excellente idée, mais pourquoi attendre le secondaire 5? Pourquoi ne pas commencer plus tôt comme certains pays européens? Dès le primaire, on pourrait prendre quelques minutes et s’asseoir avec son enfant pour lui montrer comment son REEE augmente année après année. Comme une carte menant à un trésor de pirates!

En terminant, sachant que :

  • la relation entre les titres d’études postsecondaires et la réussite sur le marché de l’emploi est bien établie, et cette tendance pourrait perdurer, voire s’accentuer et que
  • le fait de disposer d’un REEE à l’âge de 15 ans a été associé à une plus grande propension à s’inscrire à des programmes universitaires ou collégiaux8,

L’augmentation du taux de participation à la SCEE, et indirectement au REEE, est une excellente nouvelle, alors oui, on peut le dire : c’est champion!

Car comme le disait récemment en ondes l’économiste Pierre Fortin : la scolarisation, l'éducation, c'est le fer de lance de l 'économie.

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[1] STATISTIQUE CANADA, chrome-extension://efaidnbmnnnibpcajpcglclefindmkaj/https://www.canada.ca/content/...;

[2] STATISTIQUE CANADA, https://publications.gc.ca/collections/collection_2013/rhdcc-hrsdc/HS1-15-2008-fra.pdf, p. 12, tableau 2.3.1

[3] S. Fleury et P. Martineau, Le régime enregistré d’épargne-études : d’hier à aujourd’hui, Bibliothèque du Parlement, 2016, YM32-2-2016-110-fra.pdf (publications.gc.ca)

[4] Luc GODBOUT, Michaël ROBERT-ANGERS et Suzie ST-CERNY (2023), Familles et fiscalité au Québec Édition 2023. Le point après 25 ans de politique familiale, Cahier de recherche 2023-04, Chaire de recherche en fiscalité et en finances publiques, 80 p.
[5] Ibid.
[6] STATISTIQUE CANADA, chrome-extension://efaidnbmnnnibpcajpcglclefindmkaj/https://www150.statcan.gc.ca/n...;
[7] Pham, A., A. Genest-Grégoire, L. Godbout et J.-H. Guay, (2020), Qui comprend la fiscalité ? Première étude pancanadienne, cahier de recherche 2020-08, Chaire en fiscalité et en finances publiques de l’Université de Sherbrooke.
[8] STATISTIQUE CANADA, chrome-extension://efaidnbmnnnibpcajpcglclefindmkaj/https://www150.statcan.gc.ca/n...;