Fiscalité

Audréanne Leblanc

LL. M. Fisc., Pl. Fin.

Conseillère principale

Direction principale Expertise et Services spécialisés en gestion de patrimoine

Vice-présidence Services-conseils en gestion de patrimoine

Optimisation fiscale : comprendre les soldes fiscaux

Dans une situation économique où les besoins financiers et le coût de vie ne font qu’augmenter, bien connaître et maîtriser les soldes fiscaux et la logique associée à ceux-ci sont des atouts considérables afin de bien diriger les entrepreneurs et entrepreneures dans l’atteinte de leurs objectifs financiers.

Le principe d’intégration est fondamental dans notre système fiscal. Il vise à assurer que chaque individu paie un impôt équitable, quelle que soit la source de ses revenus. Par exemple, il permet qu’un dollar gagné par une entreprise et versé à son actionnaire soit imposé environ au même taux qu’un dollar de revenu gagné par une personne salariée. Bien que ce principe ne soit pas parfait et puisse évoluer en fonction, entre autres, des politiques fiscales, il nous permet de saisir la logique derrière divers outils et notions fiscales cruciales pour la planification financière.

Mais tel que nous verrons, depuis les dernières modifications budgétaires sur le taux d’inclusion des gains en capital1, ce principe d’intégration n’est plus maintenu2 en ce qui concerne ce type de revenus. Ce déséquilibre crée une disparité de traitement entre les particuliers et les sociétés.

Dans cet article, nous explorerons trois types de comptes fiscaux :

  • impôt en main remboursable à titre de dividende (IMRTD)3;
  • compte de dividendes en capital (CDC);

compte de revenu à taux général (CRTG).


1 Ce texte est basé sur les mentions du budget fédéral de 2024, le projet de loi distinct n’ayant pas encore été déposé.

2 À partir du 25 juin 2024.

3 Inclut l’impôt en main remboursable à titre de dividende déterminé (IMRDD) et non déterminé (IMRDND).

IMRTD

Une société a naturellement un taux d’imposition plus faible qu’un particulier. Sans l’impôt supplémentaire payable sur les revenus de placement, il serait très facile pour un entrepreneur ou une entrepreneure de transférer son portefeuille de placements détenu personnellement dans sa société, créant ainsi un déséquilibre dans l’intégration fiscale. Il ou elle pourrait alors bénéficier de taux réduits sur ses revenus de placement et profiter d’un report d’impôt important.

Afin de garantir une équité, le législateur a instauré une « surtaxe » sur les revenus de placement. Cette imposition supplémentaire est temporaire, le but étant de réduire l’avantage du report d’impôt sans pour autant créer une double imposition.

C’est ici que la logique de l’IMRTD entre en jeu. Afin de garder un équilibre dans le principe d’intégration, tout l’impôt payé en « surplus » sur les placements est accumulé dans ce compte fiscal. Lorsqu’un dividende imposable est versé à l’actionnaire, une partie du solde de l’IMRTD peut être remboursée à la société.

Les soldes d’IMRTD peuvent parfois devenir très importants, surtout lorsque les revenus de placement sont au rendez-vous. En tant que planificateur financier ou planificatrice financière, il est crucial de garder à l’esprit que ces sommes appartiennent à la société et pourront éventuellement être versées lorsque l’actionnaire paiera son impôt personnel sur les dividendes imposables versés. Dans la plupart des cas, l’IMRTD sera entièrement remboursé au cours de l’existence de la société. Il ne sera perdu que s’il ne reste pas suffisamment d’argent dans la société pour verser un dividende. Il est donc parfois nécessaire de faire preuve de prudence avec certaines stratégies, comme celle de l’assurance vie, pour s’assurer d’avoir toujours suffisamment de liquidités pour récupérer l’IMRTD.

Il peut être utile d’analyser les stratégies possibles pour optimiser le remboursement de l’IMRTD. Plus précisément, nous pourrions nous poser la question suivante : est-ce qu’il serait avantageux de verser un dividende imposable pour récupérer mon solde d’IMRTD, et ce, même si je n’en ai pas besoin pour financer le coût de la vie?

Il est important de faire preuve de prudence avant de répondre à cette question. Dans certains cas, la réponse sera « oui » et dans d’autres, « non ». Plusieurs facteurs peuvent influencer la prise de décision. Le taux d’imposition est un élément à considérer, mais le taux d’imposition effectif est la pierre angulaire dans ces situations. Il est particulièrement important de vérifier si le versement d’un dividende imposable peut entraîner la perte de certains avantages pour le particulier, comme la pension de la Sécurité de la vieillesse (PSV) et les allocations pour enfants ou frais de garde; puisque le taux majoré du dividende est utilisé, il est essentiel d’effectuer l’analyse.

Depuis 2018, la notion d’IMRTD a évolué et le compte est maintenant divisé en deux, soit le compte d’IMRTD déterminé (IMRDD) et non déterminé (IMRDND). Voici deux tableaux afin de démystifier la différence entre les deux types d’IMRTD4.


4 Applicable pour les sociétés privées sous contrôle canadien (SPCC).

IMRTD 

Non déterminé 

Déterminé

Types de revenus (passif) inclus dans l’IMRTD 

  • Revenu d’intérêt
  • Revenu de location (passif)
  • Gain en capital imposable
  • Dividende non déterminé (si impôt de la Partie IV)
  • Dividende déterminé (si impôt de la Partie IV)

Dividende 

Non déterminé (ordinaire)

Déterminé 

Revenu donnant droit au type de dividende 

  • Revenu avec taux d’imposition réduit (DPE) 
  • Revenu d’intérêt
  • Revenu de location 
  • Gain en capital imposable
  • Dividende non déterminé reçu dans la société 
  • Revenu à taux régulier
  • Dividende déterminé reçu dans la société

Compte 

 

CRTG

Taux marginal maximal d’imposition du dividende 

48,70 %

40,11 %

Lorsqu’un dividende non déterminé est versé, il est possible d’obtenir un remboursement de l’IMRDND ou de l’IMRDD. Le compte d’IMRDND doit cependant être diminué en premier.

Lorsqu’un dividende déterminé est versé, il est possible d’obtenir un remboursement avec seulement l’IMRDD.

Il est important de noter qu’avec le changement du taux d’inclusion du gain en capital, le solde de l’IMRTD augmentera plus rapidement.

CDC

Le CDC est largement utilisé en pratique et constitue l’un des comptes les plus fréquemment abordés avec l’entrepreneur ou l’entrepreneure lors d’une planification financière. Il offre la possibilité de verser des dividendes sans imposition, ce qui le rend particulièrement pertinent lors d’achats importants nécessitant des liquidités détenues personnellement.

Avant le changement au niveau de l’inclusion du gain en capital la logique du CDC était facilement identifiable : tout ce qui ne serait normalement pas imposable pour un particulier ne le sera pas non plus dans la société, ni lorsqu’il sera versé à son actionnaire.

Étant donné que le traitement fiscal des gains en capital diffère désormais entre les particuliers et les sociétés, la logique qui les sous-tend est moins évidente à identifier. Par exemple, le taux d'inclusion du gain en capital pour un particulier ayant des gains en capital de 250 000 $ ou moins pour une année donnée est de 1/2, tandis que celui applicable aux sociétés est de 2/3. Si l'on considère que seuls les gains non imposables sont applicables au CDC, alors le CDC augmentera plus lentement, à raison de 1/3 des gains en capital.

Le solde du CDC est parfois disponible dans la déclaration de revenus de la société lorsque l’annexe 89 a été complétée, mais dans la majorité des cas, il faut s’informer auprès d’un professionnel ou d’une professionnelle. Il est également important de se souvenir que le CDC est calculable à n’importe quel moment de l’année, contrairement à certains autres soldes fiscaux.

Mais quand verser le CDC ? 

Le solde du CDC devrait être déclaré dès que le montant est suffisamment important pour justifier les frais comptables associés à son versement. Lorsque le CDC est utilisé pour financer le coût de la vie ou un achat important, le versement en argent va de soi. Cependant, il peut parfois être intéressant d’examiner la possibilité de déclencher le CDC, même si l’actionnaire n’a pas immédiatement besoin de l’argent. Dans ce cas, deux options sont envisageables :

  • utiliser l’argent personnellement pour effectuer un placement;
  • utiliser l’argent dans la société pour effectuer un placement.

Afin de répondre à cette question, nous pouvons comparer l’impôt total payé sur les revenus de placement par la société et son actionnaire et l’impôt payable personnellement. L’augmentation du taux des dividendes depuis 2017 et le changement quant à l’inclusion du gain en capital rend le principe d’intégration de moins en moins efficace. Nous pouvons ressentir l’impact au niveau des revenus de placement effectué à l’intérieur de la société. Comme illustré dans le tableau suivant, il existe une surimposition des revenus de placement lorsque ceux-ci sont réalisés au sein de la société, contrairement au même revenu obtenu personnellement5.


5 L’illustration est faite avec le taux d’imposition marginal.

 

 

Intérêts et revenu de location1

Dividendes
 déterminés

Dividendes
 ordinaires

Gains en
capital2

Placements dans la société 

 

 

 

 

 

Impôt corporatif 

50,17 %

38,33 %

38,33 %

33.45 %

IMRTD 

 

30,67 %

38,33 %

38,33 %

20.56 %

 

 

 

 

 

 

Impôt personnel (dividende)

48,70 %

40,11 %

48,70 %

48,70 %

Impôt total à payer (corporatif et personnel)

58,70 %

40,11 %

48,70 %

39,14 %

 

 

 

 

 

 

Placements personnels

 

 

 

 

 

Impôt personnel maximum

53,31 %

40,11 %

48,70 %

26,65 %

Surimposition avec un placement corporatif

5,40 %

0,00 %

0,00 %

12,48 %


1 Lorsque considéré comme un revenu passif.

2 Considérant un gain en capital inférieur à 250 000 $. En comparaison avec un taux d’inclusion de 2/3 pour les particuliers, l’impôt supplémentaire est de 3,60 %.

Cependant, bien que la surimposition soit présente, chaque cas doit être analysé distinctement. Certains éléments pourraient influencer la décision à savoir où investir les sommes. Comme pour le choix de l’IMRTD, il faut se demander si l’augmentation des revenus de placement personnels à un impact sur la PSV et considérer les crédits et allocations. L’horizon de placement, le profil d’investisseur, le taux d’imposition marginal ainsi que la situation personnelle du client ou de la cliente sont tous des éléments importants à prendre en compte afin de prendre la bonne décision.

CRTG

Même s’il n’y a pas de planification majeure associée au CRTG lors de l’élaboration de la planification financière, il est crucial de comprendre que ce compte découle également du principe d’intégration. Le CRTG représente un solde qui correspond au revenu imposable qui n’a pas bénéficié de la déduction accordée aux petites entreprises ou d’autres taux d’imposition spéciaux. Ainsi, étant donné que les taux d’imposition de la société étaient imposés à un taux « élevé », le coût du dividende est réduit.

Et au décès


Les comptes fiscaux ne disparaissent pas et ne sont pas perdus après le décès de l’actionnaire. Les soldes fiscaux jouent généralement un rôle crucial dans la planification successorale. Lorsque les soldes fiscaux sont présents, un dividende est souvent versé pour tirer parti de ces avantages.

Conclusion

Bien que la fiscalité corporative ne soit pas simple, celle-ci est souvent dictée par la logique et certains principes. Avoir en tête l’intention du législateur et l’esprit de la loi nous permet parfois de mieux comprendre son application.