Assurance

Christian Hubert

Pl. Fin., D. Fisc.

Expert-conseil — Fiscalité et planification successorale

Cloutier Groupe financier

Valeurs de rachat : modes d’accès et enjeux pratiques

Les valeurs de rachat des polices d’assurance vie peuvent représenter un actif important dans la planification financière des clients et clientes. Ces valeurs s’accumulent au fil des années et offrent une flexibilité financière parfois considérable. Cet article examine les différentes méthodes d’accès à ces valeurs et leurs implications fiscales, légales et financières.

Types de polices concernées

Les polices d’assurance vie universelle et entière, avec ou sans participation, sont les principales polices qui génèrent des valeurs de rachat. Chaque type présente des caractéristiques distinctes quant à l’accumulation et l’accessibilité de leurs valeurs. Avant d’explorer les différents modes d’accès, il est opportun de bien comprendre la structure des valeurs qui varieront en fonction du type de contrat souscrit. À cette fin, examinons brièvement l’évolution des valeurs au sein de ces deux principaux types d’assurance :

Assurance vie universelle

Dans ce type de contrat, la valeur de rachat est plus flexible. Elle dépend du montant des primes versées au-delà du coût d’assurance, des frais de gestion et du rendement du compte de placement lié à la police. Elle peut fluctuer, à la baisse comme à la hausse, selon la performance des placements choisis par le ou la titulaire.

Assurance vie entière avec participation

Dans une assurance vie entière avec participation, la valeur de rachat augmente graduellement au fil des années en fonction des primes versées et des participations (dividendes) attribuées par l’assureur. Ces participations peuvent bonifier la valeur de rachat qui est généralement garantie et croissante avec le temps. De plus, généralement, elles peuvent bonifier le capital-décès en achetant de l’assurance libérée.

Les modes d’accès aux valeurs de rachat

Puisque la valeur de rachat constitue l’un des avantages des contrats d’assurance vie permanente, il est opportun de bien comprendre les divers mécanismes qui permettent d’y accéder, chacun comportant des implications distinctes que nous allons explorer.

Le rachat partiel ou le retrait

Le rachat partiel ou le retrait d’une police d’assurance vie permet à la personne titulaire d’accéder à une partie de la valeur de rachat accumulée dans son contrat. Ce mode consiste à retirer une portion de la valeur de rachat d’une police sans mettre fin au contrat.

Dans le cas d’une police vie entière avec participation, le retrait partiel peut s’effectuer par le rachat de bonifications d’assurance libérée (BAL) ou par la réduction de la protection de base. Cette deuxième option impliquerait également la diminution de la valeur de rachat garantie. Quant aux retraits des valeurs de rachat reliées aux dépôts additionnels et aux participations, l’impact sera davantage marqué sur le capital-décès total puisque 1 $ de valeur libère normalement plus de 1 $ de capital assuré.

Par ailleurs, dans certains cas, le ou la titulaire peut devoir payer des frais de rachat, particulièrement durant les premières années du contrat.

Considérations fiscales

  • Le montant retiré pourrait être partiellement ou totalement imposable s’il est supérieur au coût de base rajusté (CBR) proportionnel de la police. Plus précisément, un gain sur police sera déclenché si le produit de disposition (retrait) est supérieur à la portion du CBR représentée par la formule suivante : (valeur retirée/valeur de rachat totale) x CBR du contrat.
  • Le CBR de la police est donc réduit par la portion attribuée aux valeurs de rachat retirées.
  • Le gain sur police ne bénéficie pas d’un taux d’inclusion réduit comme le gain en capital. Il est pleinement imposable à l’instar d’un revenu d’intérêt.

Le rachat partiel est une méthode d’accès direct à la liquidité et simple sur le plan opérationnel. Les montants retirés sont définitifs et ne pourront être réintégrés dans les valeurs du contrat que dans les limites contractuelles et sous réserve de l’espace fiscal disponible aux fins du statut d’exonération.

L’avance sur police

L’avance sur police constitue essentiellement un prêt que l’assureur accorde à la personne titulaire en utilisant la valeur de rachat comme garantie. Contrairement à un retrait, l’avance n’est pas une disposition définitive des fonds de la police, mais plutôt un emprunt qui devra être remboursé en incluant les frais d’intérêts. Bien que la valeur de rachat demeure techniquement dans la police, elle est grevée du montant de l’avance.

Le processus d’obtention est simple. Le ou la titulaire fait d’abord une demande par écrit à son assureur. Ce dernier vérifie le montant maximal pouvant être avancé, qui est généralement établi entre 75 % et 90 % de la valeur de rachat totale. Une fois approuvée, l’avance est versée à la personne titulaire sans vérification de crédit ni justification d’utilisation des fonds obtenus.

Naturellement, l’assureur exige des intérêts sur le montant avancé, à un taux généralement préétabli dans le contrat et qui peut varier selon le marché. Ces intérêts peuvent être payés périodiquement ou s’accumuler et augmenter le solde de l’avance. Si les avances et les intérêts accumulés atteignent la valeur totale de la police, celle-ci pourrait tomber en déchéance si le coût d’assurance n’est pas couvert par de nouvelles primes. Quant au capital-décès éventuel, il sera réduit du montant de l’avance et des intérêts impayés à ce moment.

Considérations fiscales

  • L’avance elle-même n’est pas imposable tant qu’elle ne dépasse pas le coût de base rajusté (CBR) de la police. Chaque avance diminuera d’autant le CBR de la police, jusqu’à ce qu’il devienne nul.
  • Lorsqu’elle excède le CBR, la portion excédentaire de l’avance est considérée comme un gain sur police pleinement imposable.
  • Les intérêts payés sur l’avance ne sont généralement pas déductibles d’impôt, sauf si les fonds sont utilisés à des fins d’investissement.
  • Le remboursement ultérieur d’une avance procurera une déduction fiscale jusqu’à concurrence des gains sur police imposés par le passé. Tout excédent contribuera à augmenter d’autant le CBR de la police.

L’avance sur police offre ainsi une plus grande souplesse, mais doit être utilisée judicieusement pour éviter de compromettre les objectifs à long terme de la protection d’assurance. Une gestion imprudente de la dette peut entraîner la déchéance du contrat si le solde des avances et des intérêts accumulés dépasse la valeur de rachat totale.

Le prêt garanti par la police

Le prêt garanti par une police d’assurance vie, également connu sous le nom de prêt collatéral, est une option qui permet à la personne titulaire du contrat d’accéder à des liquidités tout en maintenant les avantages fiscaux de la police. Cette méthode consiste à utiliser les valeurs de rachat comme garantie auprès d’une institution financière pour obtenir un prêt. Le processus d’obtention est plus complexe que l’avance et la démarche est souvent plus laborieuse.

De façon générale, le ou la titulaire conserve la propriété de la police, mais la cède en garantie à un prêteur (banque ou société de fiducie) qui détient un droit sur la valeur de rachat. Au Québec, cette cession s’orchestre par l’entremise d’une hypothèque mobilière. L’établissement financier accorde un prêt en fonction d’un pourcentage de la valeur de rachat de la police. Ce ratio dépend de la nature des placements dans la police et pourrait varier de 50 % pour des comptes liés au marché boursier jusqu’à 90 % pour des comptes garantis, voire 100 % dans le cas des valeurs rattachées à une police vie entière.

Considérations fiscales

  • Contrairement aux retraits directs ou aux avances consenties par l’assureur, le prêt collatéral n’engendre pas de disposition au niveau de la police et ne déclenche donc pas de revenu imposable immédiat.
  • Lorsque les sommes empruntées sont utilisées pour générer un revenu d’entreprise ou de bien, les intérêts peuvent être déductibles. De plus, puisque la police est requise comme garantie du prêt, une portion du coût net d’assurance pure (CNAP) pourrait également être déductible.

Éléments à considérer pour les polices corporatives

Lorsqu’une police d’assurance vie est détenue par une société par actions, plusieurs éléments doivent être pris en compte et le mode d’accès choisi pourrait exercer une influence sur les résultats éventuels. Nous présentons ici un résumé de ces principaux éléments :

  • Revenu passif — Tout gain sur police éventuel s’ajoutera aux revenus passifs de la société. Lorsqu’ils dépassent un certain seuil, ces revenus pourraient engendrer une réduction du plafond des affaires et potentiellement l’augmentation du taux d’imposition du revenu d’entreprise de la société ou d’une société associée.
  • Prêt à l’actionnaire — Lorsqu’un ou une actionnaire obtient un prêt personnel garanti par une police détenue par sa société, il ou elle s’expose généralement à un avantage imposable. Cet avantage serait conféré annuellement et correspondrait à la valeur réelle que cette garantie coûterait si elle était obtenue auprès d’un tiers sans lien de dépendance.
  • Compte de dividendes en capital (CDC) — Seule la solution du prêt garanti n’a aucun impact sur le crédit porté au CDC de la société advenant la réception d’une prestation au décès de la personne assurée. En effet, le solde du prêt remboursé à même le capital-décès n’est pas pris en compte dans le calcul de la portion pouvant être versée sous la forme d’un dividende en capital libre d’impôt. Quant à l’avance sur police, le solde impayé incluant les intérêts réduit le capital-décès net qui sert de calcul à ce crédit.

Étant donné que les enjeux se multiplient dans un contexte de détention corporative, il devient essentiel de consulter une conseillère ou un conseiller fiscal et juridique avant d’accéder à la valeur de rachat d’une telle police afin d’éviter les pièges fiscaux et de maximiser les bénéfices recherchés.

Conclusion

L’accès aux valeurs de rachat des polices d’assurance vie peut offrir une flexibilité financière précieuse à un moment ou l’autre de la vie de la personne assurée, mais nécessite une compréhension approfondie des implications fiscales, financières et légales. Le choix de la méthode d’accès aux valeurs de rachat doit tenir compte de plusieurs facteurs afin d’évaluer l’impact global sur la stratégie financière et successorale du client :

  • les besoins de liquidités à court et long terme,
  • la situation fiscale de la personne titulaire,
  • l’objectif initial de la police d’assurance,
  • et les taux d’intérêt applicables le cas échéant.

Par conséquent, les planificateurs financiers et les planificatrices financières doivent évaluer soigneusement chaque option en fonction de la situation spécifique du client ou de la cliente, de ses objectifs à court et long terme, et du contexte fiscal et juridique en vigueur.

Tableau — Sommaire comparatif des différents modes d’accès

Éléments comparatifs

Rachat partiel/retrait

Avance sur police

Prêt garanti

Impact sur le CBR de la police

Réduction proportionnelle du CBR

Réduction jusqu’à concurrence du CBR

Aucune réduction du CBR

Impact sur la valeur de rachat

Diminution directe de la VR

Diminution de la VR nette

Aucune diminution
de la VR

Coût de financement

Aucun frais d’intérêt

Intérêt contractuel

Intérêt variable

Impact sur le CDC de la société

Le crédit au CDC sera inférieur

Le solde impayé réduit le crédit au CD

Aucun impact sur le crédit au CDC

Conclusion

Accès simple et
rapide

Accès rapide, mais frais potentiellement élevé

Accès plus complexe pour une clientèle avertie