Un climat d’incertitude permanent
Depuis quelques années, l’environnement économique et financier semble être plongé dans une instabilité chronique. Pandémie mondiale, tensions géopolitiques, inflation persistante, taux d’intérêt imprévisibles, intelligence artificielle qui bouscule des secteurs entiers : les certitudes sont rares. Dans ce contexte, les clients et clientes expriment une anxiété accrue. Certains se replient dans une prudence paralysante, tandis que d’autres réclament des garanties que personne ne peut leur offrir.
En tant que planificateurs financiers et planificatrices financières (Pl. Fin.), notre rôle dépasse la simple projection de chiffres. Nous sommes appelés à jouer un rôle pédagogique et rassurant, sans jamais sacrifier la rigueur. Or, bien expliquer l’incertitude, c’est faire preuve de courage intellectuel et de clarté stratégique. C’est aussi accepter qu’on ne puisse pas tout savoir… et de l’assumer avec élégance !
Il est tentant de répondre aux questions pressantes d’un client ou d’une cliente avec des affirmations rassurantes, telles que : « Le marché va remonter », « L’inflation va redescendre », « Ce placement est sécuritaire ». Ces phrases, quoique bien intentionnées, sont dangereuses. Elles créent une illusion de contrôle, puis un sentiment de trahison lorsque la réalité contredit les promesses.
L’alternative est exigeante : il faut apprendre à dire « je ne sais pas » tout en conservant l’autorité et la compétence que nous incarnons. Cela passe par une approche basée sur les principes et non sur les prédictions. Autrement dit, il ne s’agit pas de prétendre connaître l’avenir, mais de démontrer que le plan tient, justement, parce que l’avenir est incertain.
Valoriser le processus plutôt que le résultat
Une erreur fréquente consiste à vendre un rendement, un objectif, une cible. Pourtant, ces éléments sont soumis à des aléas que personne ne contrôle. Ce que nous pouvons offrir, en revanche, c’est un processus robuste : une structure de réflexion, une capacité d’ajustement, une planification évolutive et une flexibilité hors pair.
En expliquant clairement que la planification financière est un processus dynamique et non une feuille de route fixe, nous transformons l’incertitude en variable prévue, encadrée et ultimement intégrée. Il ne s’agit plus de subir l’instabilité, mais de l’anticiper, de la scénariser, et d’y répondre avec méthode.
Les projections linéaires sont confortables, mais irréalistes. Pour mieux faire comprendre les implications de l’incertitude, il faut présenter plusieurs scénarios : optimiste, réaliste et pessimiste. Cela permet au client ou à la cliente de visualiser une plage d’issues plausibles et non seulement une trajectoire unique.
Ces scénarios ne sont pas que des exercices abstraits. Bien construits, ils démontrent que même dans un scénario défavorable, les objectifs peuvent être atteints grâce à des leviers prévus (ajustement du décaissement, échelonnement des retraits, optimisation fiscale, etc.). C’est dans ces nuances que se joue notre valeur ajoutée.
L’incertitude est un concept flou. Pour la rendre compréhensible, il faut la rendre tangible. Comparer un portefeuille à un voilier par temps couvert ; une projection financière à un GPS dont la carte évolue constamment ; l’épargne à une ceinture de sécurité plutôt qu’à une récompense : ces images parlent.
En vulgarisant les concepts sans les simplifier à l’excès, nous permettons au client ou à la cliente de se situer. Il ne s’agit pas de cacher la complexité, mais de la traduire dans un langage accessible et évocateur. C’est aussi un excellent moyen de désamorcer l’anxiété.
Faire face aux biais cognitifs du client ou de la cliente… et aux nôtres
L’être humain n’est pas rationnel face à l’incertitude. Il est criblé de biais cognitifs puissants, souvent inconscients, notamment :
- Le biais de récence, qui pousse à surestimer les événements récents (une mauvaise année boursière devient un point de bascule imaginaire) ;
- L’aversion aux pertes, qui donne plus de poids émotionnel à une perte de 10 % qu’à un gain de 15 % ;
- L’illusion de contrôle, qui pousse à croire qu’en bougeant rapidement, il est possible d’éviter le pire.
Le rôle du Pl. Fin. est de nommer ces biais avec bienveillance, de les illustrer, et de proposer un cadre rationnel pour les dépasser. Cela demande aussi une introspection : sommes-nous nous-mêmes victimes d’excès de confiance ou d’émotivité dans notre pratique ?
En période d’incertitude, le silence peut être interprété comme de l’abandon. La cliente ou le client inquiet a besoin de savoir que vous êtes là, même si vous n’avez pas de nouvelles rassurantes à lui transmettre.
Un appel proactif pour « prendre des nouvelles », une infolettre expliquant le contexte sans jargon, une capsule vidéo de trois minutes pour démystifier une situation : autant de gestes simples qui entretiennent la relation et positionnent le ou la Pl. Fin. comme une présence fiable, et qui permettent également de prévenir une avalanche d’appels ou de courriels.
Exemples concrets d’approche pédagogique
Prenons un client ou une cliente en phase de décaissement, préoccupé par les fluctuations boursières. Plutôt que de promettre une reprise rapide, nous pouvons :
- Présenter un scénario de retrait ajusté selon un rendement inférieur pendant 2 ans, suivi d’un retour à la moyenne ;
- Montrer comment l’ordre de retrait (CELI, REER, comptes non enregistrés) peut atténuer l’impact fiscal ;
- Discuter d’une réserve de liquidités pour éviter de vendre en période creuse.
Autre exemple : un jeune professionnel ou une jeune professionnelle souhaitant maximiser son CELIAPP, mais qui hésite à cause de l’incertitude immobilière. Dans ce cas, il est possible :
- D’expliquer que le CELIAPP reste avantageux même en l’absence d’achat immédiat ;
- De présenter un scénario d’utilisation comme REER différé ;
- De comparer les implications fiscales avec un investissement équivalent dans un CELI classique.

Dire la vérité… et la dire bien
Expliquer l’incertitude implique parfois de devoir annoncer de mauvaises nouvelles : « Votre objectif de retraite à 58 ans devra être repoussé », « Le rendement espéré devra être revu à la baisse », « Il faudra envisager une protection d’assurance additionnelle ». Autant de constats qui, s’ils sont livrés trop abruptement, peuvent déstabiliser. Et pourtant, les contourner serait une erreur.
La confiance se construit moins sur la promesse de jours meilleurs que sur la cohérence, la transparence et la rigueur du discours. Un client ou une cliente respectera davantage un ou une Pl. Fin. qui ose nommer les choses avec franchise tout en proposant une voie réaliste, qu’un professionnel ou une professionnelle qui enjolive ou évite le sujet pour préserver le confort à court terme.
C’est dans la manière de formuler ces vérités que se joue l’essentiel : nommer les enjeux avec précision, mais sans alarmer ; faire appel aux données, mais en les traduisant ; et surtout, inscrire chaque mauvaise nouvelle dans une stratégie globale d’adaptation. Autrement dit, montrer qu’il y a toujours une suite, même si elle diffère de la trajectoire initiale.
L’incertitude n’est pas un défaut du système. Elle en est une composante essentielle. C’est elle qui donne de la valeur à la planification, et qui justifie notre présence. Ce n’est pas en prévoyant parfaitement que nous gagnons la confiance de nos clients et clientes, mais en étant les repères stables dans un environnement mouvant. L’action absorbe l’anxiété.
C’est dans l’incertain qu’émerge le vrai rôle du ou de la Pl. Fin. : non pas comme oracle, mais comme architecte d’une structure souple, capable de résister au vent sans casser. Et c’est précisément cette capacité à conjuguer rigueur, adaptation et pédagogie qui donne tout son sens à notre métier.
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