Dans la plupart des cas, cela nécessite au moins trois actions distinctes de notre part :
- réviser fréquemment leur couverture d’assurance et leurs documents juridiques (en collaboration avec les professionnelles et professionnels appropriés) afin de tenir compte de l’évolution de leur situation globale,
- utiliser des hypothèses de projection crédibles et réalistes (comme celles de l’Institut de planification financière) pour les aider à planifier leurs finances,
- et les conscientiser quant à l’importance de bâtir un portefeuille d’investissement bien diversifié et résilient qui correspond à leurs besoins et contraintes.
C’est sur cette dernière responsabilité que je souhaite me concentrer dans cet article, avec une emphase sur la perspective des Pl. Fin. qui détiennent les permis appropriés et sont inscrits comme représentants et représentantes en épargne collective, représentants et représentantes de plein exercice, ou gestionnaires de portefeuille (agrégés pour ce texte sous le terme de « conseillers et conseillères »).
L’environnement de marché récent
Malgré quelques soubresauts, notamment depuis la pandémie, il est difficile de nier que les années depuis la crise financière de 2008 ont été excellentes pour les marchés boursiers, particulièrement du côté américain, dont la dominance dans l’indice mondial n’a cessé de croître. Des avancées technologiques importantes, un environnement de libre-échange et de globalisation extrêmement favorable, et une inflation largement sous contrôle depuis les années 80 — qui a permis aux taux d’intérêt de baisser progressivement — ont contribué à offrir aux investisseurs et investisseuses des rendements réels impressionnants.
Cependant, selon plusieurs, le passé récent pourrait avoir entraîné une certaine complaisance de la part des investisseurs et investisseuses. En effet, au moment d’écrire ces lignes en mars, le marché boursier américain est à des niveaux très élevés — en fonction du ratio cours/bénéfice de l’indice S&P 500 —, les écarts de crédit des obligations corporatives sont à un creux, et bien que les taux d’intérêt aient remonté depuis 2020, ils restent faibles sur une base historique.
Attention, il ne s’agit pas ici de prédire une catastrophe, comme le font périodiquement certains stratèges, mais seulement de reconnaître que, dans l’environnement actuel, les investisseurs et investisseuses pourraient ne pas être compensés adéquatement pour les risques qu’ils prennent ; surtout si les conditions économiques s’avéraient différentes de celles que nous avons connues au cours des dernières années.
L’impact des corrélations en investissement
La diversification repose sur les corrélations imparfaites entre les actifs (ou catégories d’actifs). Ainsi, lorsque certains d’entre eux subissent des baisses, d’autres amoindrissent l’impact sur le portefeuille global. En plus d’améliorer l’expérience des investisseurs et investisseuses, cela réduit la volatilité des rendements et augmente par conséquent leurs chances de succès.
Cela est primordial pour ceux et celles en phase de décaissement en raison du risque de séquence des rendements auquel ils font face. Avec la disparition progressive des régimes de retraite à prestations déterminées, et l’augmentation de la durée moyenne de décaissement, la diversification devient plus importante que jamais.
Un problème auquel nous faisons toutefois face est que les corrélations varient avec le temps et tendent à augmenter lors des périodes tumultueuses. Pire encore, si les investisseurs et investisseuses se sont accoutumés à des corrélations négatives ou très faibles entre les actions et les obligations, cela n’a pas toujours été le cas historiquement. On se souviendra de l’année 2022, marquée par une baisse de 12 % tant pour l’indice d’actions MSCI Monde que pour l’indice obligataire universel FTSE Canada, mais trouver d’autres exemples nécessiterait probablement un effort de mémoire supplémentaire.
Dans un article relativement récent, trois professeurs de l’Université Harvard et de l’Université de Chicago rappelaient que le bêta des obligations du trésor américain par rapport aux actions était positif avant les années 2000. Plus intéressant encore, ils suggèrent que ce changement serait dû à la nature de l’inflation et que, dans un environnement où celle-ci viendrait davantage des chocs d’offre que de la demande, on pourrait s’attendre à des corrélations plus élevées.
Rappelons qu’un choc d’offre désigne un évènement macroéconomique qui affecte l’offre de biens et services, tels que les chocs pétroliers des années 70 ou la pandémie de la COVID-19 qui a paralysé temporairement le commerce mondial. On peut aussi très bien imaginer que des changements structurels puissent causer des perturbations qui occasionneraient un changement de régime dans le futur, dans lequel l’inflation serait continuellement plus élevée ; par exemple des réalignements dans la chaîne d’approvisionnement en raison de considérations environnementales, de montées du protectionnisme ou du vieillissement de la population.
La diversification, au-delà des grands indices de référence
Malheureusement, pour bien des investisseurs et investisseuses, la diversification semble aujourd’hui se limiter à un investissement dans un sous-portefeuille d’actions structuré autour de l’indice MSCI Monde — ou d’autres indices pondérés par la capitalisation boursière – combiné à une allocation plus ou moins grande à l’indice obligataire canadien. Dans ces portefeuilles, les grandes capitalisations américaines occupent une part importante.
Or, aux conditions de marchés mentionnées précédemment (cours élevés des actions, écarts de crédit serrés et taux d’intérêt faibles), ne risque-t-on pas une amplification des effets de ce phénomène d’accroissement de la corrélation entre les actions et les obligations si un éventuel choc se produisait ? Mentionnons au passage que bien des partisans et partisanes de l’investissement passif, y compris le défunt Jacques Lussier dans son livre Successful Investing is a Process, reconnaissent les enjeux liés à ce type d’indices, qui vont au-delà du débat actif-passif.
Une option intéressante pour réduire ce problème, outre la traditionnelle — et nécessaire — diversification géographique et par styles de gestion, serait l’inclusion d’investissements alternatifs aux portefeuilles.

Les investissements alternatifs
Bien qu’ils soient présents depuis longtemps dans les portefeuilles institutionnels, les investissements alternatifs occupent encore une part minime de ceux des clientes et clients individuels, quoiqu’en croissance grâce aux changements réglementaires qui ont permis la création de la catégorie des fonds alternatifs liquides.
Mais que sont-ils exactement ? Il n’y a pas de réponse directe à cette question, mais il s’agit d’investissements qui ne sont ni des obligations ou des actions de sociétés cotées en bourse, ni des stratégies qui se contentent de détenir celles-ci.
On peut penser notamment aux :
- actifs alternatifs : métaux précieux et marchandises, terres agricoles et forestières, propriété intellectuelle, objets de collection, et cryptoactifs ;
- actifs privés : actions de sociétés privées (« private equity » et « venture capital »), crédit privé, immobilier privé et infrastructures ;
- stratégies alternatives : fonds de couverture et stratégies événementielles, stratégies Global Macro et contrats à terme gérés, et produits structurés.
L’intégration de tels investissements est intéressante, car elle pourrait offrir une exposition à des facteurs de risque différents de ceux présents sur les marchés obligataires et boursiers, notamment une protection contre l’inflation. Les investisseurs et investisseuses bénéficieraient donc d’une diversification accrue, bien qu’une partie de celle-ci soit artificielle — notamment dans le cas des actifs privés — en raison du lissage des rendements provoqué par l’absence de valorisations de marché quotidiennes pour plusieurs d’entre eux.
L’environnement actuel pourrait être particulièrement propice pour certains de ces investissements. On pense au crédit privé (qui offre en plus des taux variables), en raison du retrait des banques de certains secteurs dans la foulée des réformes de Bâle III, ainsi qu’au private equity, avec la baisse des introductions en bourse dans les dernières décennies. Statistique intéressante à ce propos1 : près de 90 % des compagnies américaines, européennes et asiatiques, avec des revenus supérieurs à 100 millions de dollars américains sont aujourd’hui privées.
Évidemment, les investissements alternatifs comportent aussi leurs propres risques, dont certains de ceux présents dans les marchés traditionnels. Leur profil variera énormément selon la catégorie, la sous-catégorie et le fonds (notamment à cause du levier). Par exemple, pour le crédit privé, on s’attendra naturellement à un risque de perte moins élevé pour un fonds de prêts directs que pour un fonds de créances en détresse.
Le ou la Pl. Fin. doit donc bien s’éduquer et, lorsqu’il ou elle porte son chapeau de conseiller ou de conseillère, effectuer une diligence raisonnable des différents produits qui va au-delà des simples cotes de risques des courtiers. Cela demandera plus d’efforts que pour les fonds classiques, notamment pour respecter ses obligations réglementaires. Les structures de frais, généralement plus complexes que celles des fonds communs de placement traditionnels, seront également un facteur clé à analyser.
En outre, il faut être conscient du fait que la dispersion des performances a tendance à être plus importante pour les gestionnaires des stratégies alternatives que pour les gestionnaires de stratégies traditionnelles. Cela plaide donc en faveur de positions plus petites et d’une diversification entre plusieurs gestionnaires.
1 Capital IQ
Les bénéfices et les dangers de l’illiquidité
Bien que les chercheurs et chercheuses ne s’entendent pas sur la valeur de la prime d’illiquidité des différentes catégories d’investissements, il est généralement admis qu’un investisseur ou une investisseuse est compensé pour l’absence ou la difficulté d’accès à son capital. Or, si la liquidité est essentielle pour les investisseuses et investisseurs particuliers, la totalité du portefeuille n’a pas besoin d’être accessible en tout temps pour la majorité. Le fait d’investir une partie du portefeuille dans ces actifs moins liquides, qui ont souvent des périodes d’immobilisation (lock-up) de plusieurs années, pourrait permettre de percevoir cette prime et d’améliorer les rendements du portefeuille.
Cette allocation devrait toutefois être raisonnable, selon les contraintes propres à chaque investisseur et investisseuse. En effet, il m’est arrivé à plusieurs occasions dans les dernières années — comme peut-être à certains d’entre vous — de rencontrer des clients et clientes dont les portefeuilles étaient sous-pondérés en obligations, mais investis à près de 40 % dans des actifs privés ; un pourcentage similaire ou supérieur à bien des caisses de retraite. Personnellement, de telles allocations, surtout lorsque concentrées dans une seule sous-catégorie, m’apparaissent téméraires puisque l’économie n’est jamais à l’abri de crises de liquidité, qui pourraient survenir à de mauvais moments pour les investisseurs et investisseuses ; en particulier si leur domaine d’emploi s’en trouvait affecté.
Bien sûr, ces évènements affectent également les investissements traditionnels, mais souvent dans une moindre mesure que les investissements alternatifs, et que les actifs privés en particulier. Rappelons d’ailleurs que plusieurs fonds alternatifs avaient gelé les rachats en 2020 et en 2022, et que ces fonds mettent fréquemment en place des clauses qui leur permettent d’effectuer rapidement de tels gels lorsque certains seuils de retraits mensuels ou trimestriels sont atteints.
D’autre part, même sans assèchement généralisé de la liquidité du marché, une concentration trop grande dans ces actifs pourrait compliquer les rééquilibrages périodiques et ponctuels, limitant ainsi l’habileté des investisseurs et investisseuses à être dynamiques et à profiter de baisses de marchés. La liquidité du portefeuille est donc une considération essentielle à garder en tête.
L’approche du portefeuille global
Une approche intéressante pour l’intégration des investissements alternatifs, qui a émergé du côté institutionnel dans les deux dernières décennies, est celle du portefeuille global, ou total portfolio approach en anglais. Brièvement, cette dernière consiste à gérer le portefeuille en considérant l’impact de chaque investissement sur les facteurs de risque du portefeuille dans son ensemble, plutôt qu’en silos en remplissant des quotas de catégories d’actifs basés sur la théorie moderne du portefeuille. Elle offre des avantages importants en permettant à l’investisseur ou l’investisseuse, ou à son conseiller ou sa conseillère de mieux comprendre les moteurs de performance du portefeuille, et d’éviter des surexpositions non intentionnelles à des facteurs de risque.
Par exemple, certains secteurs industriels étant plus sensibles aux variations des taux d’intérêt, les investisseurs et investisseuses qui détenaient en 2022 un portefeuille investi plus lourdement dans des actions de style croissance et dans des obligations de longue durée ont subi des pertes plus prononcées que celles auxquelles ils se seraient sans doute attendus. De même, réduire les obligations gouvernementales pour accroître la pondération d’investissements alternatifs qui seraient, au niveau économique, plus près des actions, pourrait ne pas donner les résultats escomptés.
Bien sûr, la plupart des conseillers et conseillères ne disposent pas d’outils internes aussi poussés que les grands investisseurs institutionnels pour les appuyer dans la construction de leurs portefeuilles, mais plusieurs firmes ont commencé à offrir des outils et services d’analyse aux conseillères et conseillers canadiens qui peuvent favoriser l’adoption d’une telle approche.
La mesure d’un portefeuille de qualité
« Un bon portefeuille ne se résume pas à une longue liste d’actions et d’obligations de qualité. C’est un ensemble équilibré, offrant à l’investisseur des protections et des opportunités face à un large éventail d’imprévus », disait Harry Markowitz.
En 2025, il est temps d’ajouter une catégorie d’actifs à cette liste.
Que vous utilisiez des outils d’analyse factorielle ou non, intégrer les investissements alternatifs aux portefeuilles de vos clients et clientes pourrait être bénéfique. Bien sûr, leur adoption prendra du temps, et devrait certainement être graduelle, mais elle vaudra l’effort si elle permet d’augmenter les probabilités qu’ils performent bien à travers une multitude de scénarios.
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