Fiscalité

Audréanne Leblanc

LL.M. fisc., Pl. Fin.

Planificatrice financière et fiscaliste

Conseil et investissement fonds FMOQ inc.

Fiducies : astuces pour une planification réussie

Les structures impliquant des fiducies causent souvent des maux de tête aux planificateurs financiers et planificatrices financières (Pl. Fin.). En effet, qu’il s’agisse de projeter les revenus, d’estimer la valeur nette future d’un client ou d’une cliente, ou d’intégrer une fiducie dans l’élaboration d’une planification successorale, un tel exercice est rarement facile.

Voici quelques pistes de réflexions nécessaires pour intégrer les fiducies dans le processus de planification financière. Sans examiner en détail les dispositions légales applicables, nous nous pencherons sur les questions pertinentes à poser et les documents à demander lorsqu’un client ou une cliente souhaite une planification financière impliquant une fiducie, notamment une fiducie entre vifs déjà établie. En cas de doute, il est recommandé de consulter le professionnel ou la professionnelle du client ou de la cliente.

Définition et imposition

La fiducie est définie dans le Code civil du Québec comme résultant d’un acte par lequel une personne, le constituant ou la constituante, transfère des biens de son patrimoine à un autre patrimoine qu’il ou elle constitue, ces biens étant affectés à une fin particulière et qu’un ou une fiduciaire s’oblige, par le fait de son acceptation, à détenir et à administrer1.

Ainsi, la fiducie est ce qu’on appelle un « patrimoine d’affectation », distinct du patrimoine du constituant ou de la constituante.

En matière fiscale, une fiducie est soumise au taux marginal maximal d’imposition, soit 53,31 %. C’est pourquoi, en pratique, les revenus sont majoritairement attribués aux bénéficiaires de manière annuelle.

Il est également important de noter que les fiducies sont désavantagées en ce qui concerne l’impôt minimum de remplacement (IMR) par rapport aux particuliers ou aux particulières.


1 Art. 1260 C.c.Q.

Quelques de fiducies rencontrées

De prime abord, il faut distinguer les fiducies testamentaires des fiducies non testamentaires, ces dernières étant également appelées fiducies entre vifs. Au niveau fiscal, les types de fiducies entre vifs fréquemment abordées sont les suivantes :

Fiducie familiale/fiducie de gel

Ce type de fiducie a normalement différents bénéficiaires, comme le conjoint ou la conjointe et les enfants. En planification financière, il est crucial de bien comprendre l’intention derrière la distribution des revenus et du capital de ce type de fiducie afin de pouvoir effectuer des projections de revenus adéquates.

Lorsque ce type de fiducie détient des actions issues d’un gel, et que la planification financière vise l’auteur ou l’autrice du gel, il sera capital de déterminer l’application des règles d’attribution selon l’article 74.4 (2) L.I.R. Si elles s’appliquent, un intérêt réputé ou un dividende devra être versé et donc pris en compte dans le calcul des flux monétaires2.


2 Pour plus d’information sur les règles d’attribution, veuillez vous référer à l’édition d’octobre 2024 de La Cible.

Fiducie en faveur de soi-même3/fiducie pour soi sans limites d’âge

Ce type de fiducie entre vifs est généralement mis en place pour la protection d’actifs. Il existe des règles spécifiques concernant son instauration avant ou après 65 ans. Pour la projection de revenus, il faudra normalement prévoir l’imposition des revenus annuels provenant de la fiducie.


3 Défini au Paragraphe. 248 (1) L.I.R.

Fiducie mixte au profit du conjoint ou de la conjointe4

Ce type de fiducie est généralement établi pour la protection des actifs5 et n’est possible qu’après 65 ans. Pour les projections de revenus, il est nécessaire de prévoir l’imposition des revenus annuels provenant de la fiducie. Contrairement à la fiducie pour soi-même, il est également important de tenir compte des règles d’attribution. En général, il n’est pas possible de fractionner le revenu avec son conjoint ou sa conjointe ; le revenu sera réattribué à l’auteur ou à l’autrice du transfert.


4 Défini au Paragraphe. 248 (1) L.I.R.

5 Il pourrait également y avoir d’autre raison de nature successorale.

À l’inverse, les fiducies testamentaires prennent effet qu’au moment d’un décès. Bien qu’elles soient importantes pour la planification successorale, elles n’affectent généralement pas les projections de revenus au cours de la vie du constituant ou de la constituante. Cependant, l’ordre de décaissement peut être établi de manière stratégique, afin d’optimiser les volontés du ou de la légataire. Par exemple, certains actifs comme le REER/FERR et le CELI ne sont pas optimalement transmis par fiducie testamentaire au conjoint ou à la conjointe, puisque leur roulement fiscal n’est pas possible. Dans ces cas, un transfert direct au conjoint est généralement à privilégier sur le plan fiscal. C’est dans ce type de scénario que l’ordre de décaissement peut jouer : si une personne souhaite léguer obligatoirement tous ses biens à son conjoint ou à sa conjointe via une fiducie testamentaire, il sera probablement judicieux de privilégier le décaissement des actifs tels que le REER, du vivant du constituant ou de la constituante.

Il existe également d’autres fiducies particulières dont nous ne traiterons pas ici ; on pense par exemple aux fiducies pour personnes handicapées.

La collecte de données : l’importance de s’informer

Bien connaître ses clients ou clientes et leur situation financière est essentiel pour les guider à travers leurs décisions financières. Afin de bien comprendre leur structure financière, il est pertinent de s’informer sur leur fiducie familiale.

Lors de l’élaboration de la planification financière, voici les documents pertinents pour bien comprendre l’implication de la fiducie du client ou de la cliente :

  • Acte de fiducie : Ce document permet de connaître les parties impliquées dans la fiducie (c’est-à-dire le constituant ou la constituante, les fiduciaires et les bénéficiaires), la date de constitution, le type de fiducie et les modalités particulières s’il y a lieu.
  • Bilan de la fiducie : Il permet de déterminer les biens détenus par la fiducie. Il sera important de demander un organigramme ou l’actionnariat lorsque la fiducie détient des actions de sociétés privées.
  • Testament : Il est courant que l’acte de fiducie fasse référence au testament.

Il est également important de poser les bonnes questions :

  • Pourquoi la fiducie a-t-elle été mise en place et quel était le but initial ? Il faut garder en tête qu’il existe plusieurs raisons qui ne sont pas d’ordre fiscal, tel que la protection des actifs.
  • De quelle manière les revenus de la fiducie sont-ils distribués chaque année ?
  • De quelle manière le capital de la fiducie sera-t-il distribué ?
  • Qu’adviendra-t-il de la fiducie à son 21e anniversaire ? Des règles particulières peuvent s’appliquer à cette occasion, comme nous le verrons.

La pertinence de conserver la fiducie

Avant l’avènement des règles concernant l’impôt sur le revenu fractionné (IRF), les fiducies familiales étaient couramment utilisées pour fractionner les revenus. À sa plus simple expression, une fiducie désignée comme actionnaire d’une société pouvait verser des dividendes à des bénéficiaires n’étant pas impliqués dans cette société, comme le conjoint ou la conjointe et les enfants majeurs.

Depuis 2018, le fractionnement de revenus est largement limité, ce qui remet en question dans certaines situations la pertinence de la fiducie familiale dans la structure financière du client ou de la cliente. Dans les cas où une fiducie a été établie principalement pour le fractionnement de revenus, il est légitime de se demander si elle doit être maintenue ou dissoute.

Il est essentiel de considérer plusieurs aspects. Tout d’abord, il existe encore quelques avantages fiscaux propres aux fiducies, les deux principaux étant les suivants :

  • Multiplication de la déduction pour gain en capital (DGC) : Il est possible de remettre la partie imposable du gain en capital à des bénéficiaires afin de multiplier la DGC.
  • Report des impôts au décès : Il est possible de reporter les impôts au décès, mais en respectant une certaine limite. Selon le sous-paragraphe 104 (4) b) de la L.I.R., une fiducie est soumise à une disposition réputée le jour de son 21e anniversaire. Vous trouverez en lecture complémentaire les options disponibles afin de planifier ce 21e anniversaire. Dans la majorité des cas, un roulement à un ou une bénéficiaire sera tout désigné.

Il est également important de noter que la règle des 21 ans ne s’applique pas aux fiducies au profit du conjoint ou de la conjointe, aux fiducies pour soi (sans limites d’âge), ainsi qu’aux fiducies en faveur de soi-même (65 ans et plus).

L’élaboration de la planification financière est un bon moment pour établir les avantages et inconvénients de conserver la fiducie ; le ou la Pl. Fin. peut donc apporter des pistes de réflexion. Il faudra cependant faire preuve de prudence : comme plusieurs aspects fiscaux et légaux sont en jeu au moment de fermer une fiducie, il faudra certainement recommander votre client ou cliente à un ou une spécialiste.

Calcul des impôts au décès et bilan successoral

Bien que la fiducie constitue un patrimoine distinct et que le décès d’une personne n’entraîne pas sa dissolution, il sera capital de calculer l’impôt latent dans la fiducie lors de la planification successorale.

Prenons l’exemple d’une fiducie familiale : il est courant que les biens soient transférés aux bénéficiaires au 21e anniversaire de la fiducie. Dans ce cas, l’impôt au décès pourrait être considérablement augmenté lors de cette attribution. Le calcul de l’impôt latent est donc indispensable pour déterminer, entre autres, le coût des impôts future et les liquidités nécessaires.

Il en va de même du calcul de l’impôt au décès pour les fiducies pour soi et les fiducies mixtes au profit du conjoint ou de la conjointe. Bien que ces types de fiducies ne soient pas soumis à la règle des 21 ans, il existe une disposition réputée :

  • Fiducie en faveur de soi-même6 : Décès de l’auteur ou de l’autrice
  • Fiducie mixte au profit du conjoint ou de la conjointe : Décès de la conjointe ou du conjoint survivant

Il est à noter que dans le cas d’une fiducie pour soi, il n’y a pas de possibilité de roulement au conjoint ou à la conjointe, rendant le calcul de l’impôt au décès encore plus important. De plus, dans les deux cas, il n’est pas possible de bénéficier de la DGC lors d’une disposition réputée au décès. C’est le genre de raisons qui font que la planification successorale revêt une importance capitale.

Bref, le ou la Pl. Fin. joue un rôle essentiel lorsqu’une personne s’interroge sur l’utilité et la pertinence de sa fiducie. Il ou elle pourra évaluer les avantages et les inconvénients de la fiducie dans le contexte de la structure financière du client ou de la cliente, et ce, en collaboration avec ses autres professionnels ou professionnelles. Les projections de revenus permettent de déterminer si la distribution des revenus et du capital est optimale pour répondre aux besoins de la personne cliente. Sans compter que le ou la Pl. Fin. bien aux faits des avantages et des inconvénients d’une fiducie saura identifier les occasions pour en mettre une en place, dans une approche de planification financière intégrée.


6 Inclus les fiducies pour soi sans limite et d’âge et les fiducies pour soi à partir de 65 ans.