Dossier

François Lucas-Cardona

A.S.A, MBA, Pl. Fin.

Conseiller principal, développement et qualité de la pratique

Institut de planification financière

Le pari du perdant ravi : quand réclamer la rente du RRQ

Dans leur quotidien, les Pl. Fin. sont souvent confrontés à la question du moment optimal pour réclamer la rente du Régime de rentes du Québec (RRQ). Malgré l’importance de cette décision pour la sécurité financière à la retraite, nombre de Québécois et de Québécoises (environ 36 % des femmes et 31 % des hommes en 2021) choisissent de réclamer leur rente dès 60 ans, souvent au détriment de leur bien-être financier à long terme. Pourquoi ce réflexe? Quels biais influencent ce choix ? Et surtout, comment, en tant que Pl. Fin., pouvez-vous mieux accompagner votre clientèle dans cette décision cruciale?

Dans cet article, je vous propose une synthèse des principaux enseignements du cahier de recherche « Le pari du perdant ravi » (Bachand, Lemelin, Monette, 2024), qui explore le choix du moment pour débuter la rente du RRQ. Il met en lumière les biais cognitifs qui influencent cette décision et les impacts financiers qui en découlent. Vous y trouverez aussi des conseils pratiques pour mieux accompagner la population québécoise.

Le contexte : un choix lourd de conséquences

  • Un réflexe coûteux

Chaque année, des milliers de Québécois et de Québécoises décident de réclamer leur rente du RRQ aussitôt que possible, c’est-à-dire dès 60 ans. En 2020, l’âge moyen de début de la rente était de 62,2 ans, et à peine 7 % des nouveaux bénéficiaires choisissaient de reporter la rente après 65 ans. Pourtant, ce choix précoce peut coûter jusqu’à 160 000 $ sur l’ensemble de la retraite, alors que le gain potentiel en cas de décès prématuré ne dépasse généralement pas 52 000 $.

  • Un «pari» sur sa propre longévité

Les auteurs du cahier de recherche illustrent ce choix par une analogie frappante : accepteriez-vous de jouer à un jeu où vous avez 90 % de chances de perdre gros et seulement 10 % de chances de gagner un montant modeste ? Pourtant, c’est exactement ce pari que fait la majorité des Québécois et des Québécoises en réclamant leur rente dès 60 ans. Derrière ce choix se cachent des biais cognitifs puissants qui influencent la prise de décision.

Le RRQ et ses paramètres : l’essentiel

Comme vous le savez, le système de retraite québécois repose sur quatre piliers : la pension de la Sécurité de la vieillesse (PSV), le RRQ, les régimes de retraite et l’épargne privée.

Le RRQ, régime public obligatoire, verse une rente viagère dont le montant varie selon l’âge de la réclamation (entre 60 et 72 ans). Anticiper sa rente entraîne une réduction permanente (6 % par année, jusqu’à 30 % au total), tandis que la reporter jusqu’à 72 ans bonifie son montant de façon significative (à raison de 8,4 % par année, jusqu’à 59 % au total). Ce choix a donc un impact majeur sur le revenu de retraite à vie.

Les biais cognitifs : les obstacles à la décision optimale

1

L’aversion à la perte

Les individus préfèrent éviter une perte plutôt que de réaliser un gain équivalent. Cette aversion pousse de nombreux Québécois et de nombreuses Québécoises à réclamer leur rente tôt, par peur de « perdre » de l’argent en cas de décès prématuré.

2

Le déni de la perte voilée

La réduction du montant mensuel liée à une prise anticipée est souvent sous-estimée, car cette perte est moins visible et s’étale sur toute la durée de la retraite.

3

Le point de référence inadapté

Beaucoup comparent le montant perçu à 60 ans à celui reçu à 65 ans, sans tenir compte de l’espérance de vie et de la valeur cumulative des versements.

4

La sous-évaluation de la probabilité de survie

Les gens ont tendance à surestimer leur risque de décès prématuré, alors que la majorité des individus vivent bien au-delà de 70 ans (95 % des femmes atteignent 70 ans).

Présenter le choix comme un pari : un outil pédagogique puissant

Pour contrer ces biais, les auteurs du cahier de recherche recommandent de présenter le choix du moment de la rente comme un jeu de hasard. Par exemple, une femme qui prend sa rente à 60 ans a 95 % de chances de vivre au moins jusqu’à 70 ans, ce qui rend le report de la rente beaucoup plus avantageux dans la majorité des cas. Cette approche permet de rendre les conséquences du choix plus tangibles et de favoriser une prise de décision plus rationnelle.

Le rôle des Pl. Fin. : éduquer, sensibiliser, accompagner

1. Éducation et sensibilisation

Le ou la Pl. Fin. doit expliquer clairement à ses clients et clientes l’impact du choix du moment de la rente, en utilisant des exemples concrets et des simulations personnalisées. Il est essentiel de démystifier les mécanismes du RRQ et de montrer l’effet cumulatif des décisions.

Aussi, pour faciliter la compréhension, je vous recommande d’adapter votre langage en termes d’impact sur la vie de vos interlocuteurs ou interlocutrices. N’hésitez pas à être percutant à cette étape, car il s’agit d’un choix qui peut entraîner des conséquences majeures sur la retraite de vos clients et clientes :

  • La rente du RRQ est une assurance longévité : plus on la reporte, plus elle protège contre le risque de vivre très longtemps et de manquer d’argent.
  • Le montant mensuel augmente de façon significative si la rente est reportée : chaque année de report après 65 ans augmente la rente de 8,4 %.
  • La majorité des gens vivront bien au-delà de 70 ans : il est donc statistiquement plus avantageux de reporter la rente, sauf en cas de santé précaire ou de besoins financiers urgents. Insister sur l’importance de maximiser le revenu à vie, surtout dans un contexte où la longévité augmente, est un argument clé pour encourager le report de la rente.
  • Le coût d’une décision hâtive est souvent sous-estimé : selon les données de 2021 présentées dans le cahier de recherche, près de 73 % des personnes choisissent de demander leur rente du RRQ avant 65 ans, s’engageant ainsi dans un pari où elles ont 90 % de chances de perdre jusqu’à 160 000 $, contre seulement 10 % de chances de gagner un maximum de 52 000 $. Alors qu’aucune personne raisonnable n’accepterait de telles probabilités dans un jeu de hasard, ces chiffres montrent que de nombreux Québécois et Québécoises prennent pourtant ce risque sans hésiter lorsqu’il s’agit de leur retraite, illustrant ainsi ce que l’on appelle le « pari du perdant ravi ».

2. Utilisation d’outils visuels

Des graphiques ou des tableaux comparant les scénarios (par exemple, rente à 60, 65, 70 ans) rendent les conséquences tangibles et facilitent la compréhension.

3. Discussion des biais cognitifs

Aborder ouvertement les biais qui influencent la décision, notamment l’aversion à la perte et la sous-estimation de la longévité, permet d’aider le client ou la cliente à prendre du recul et à adopter une perspective plus objective. De plus, la décision de prendre sa rente RRQ n’est pas un choix unique à faire à 60, 65 ou 70 ans ; il est pertinent de rediscuter annuellement de cette option avec son client ou sa cliente lors des rencontres de suivi, en évaluant la possibilité de la reporter d’une année à la fois.

L’essentiel à retenir pour optimiser les conseils au niveau du RRQ

Aidez vos clients et clientes à prendre des décisions éclairées en :

  • Comprenant les biais cognitifs : identifiez et discutez de ces biais afin de favoriser des choix réfléchis.
  • Présentant les probabilités : illustrez clairement les conséquences financières des différentes options. Par exemple, selon le cahier de recherche, les femmes qui optent pour une demande anticipée à 60 ans subissent une perte dans 91 % des cas (89 % pour les hommes), comparativement à celles qui attendent jusqu’à 65 ans. De plus, en choisissant une demande à 60 ans, les pertes maximales potentielles peuvent atteindre 160 000 $, contre un gain limité à 52 000 $. Ces chiffres montrent que le pari d’une demande anticipée comporte des risques financiers considérables, avec une probabilité élevée de pertes importantes.
  • Utilisant des outils de simulation : personnalisez les scénarios pour maximiser l’impact.
  • Privilégiant une analyse rationnelle : encouragez une planification basée sur l’espérance de vie et les besoins réels.
  • Favorisant le report de la rente : recommandez cette option sauf exception justifiée, en explorant des alternatives à la prise anticipée si nécessaire.
  • Adaptant vos conseils : tenez compte de la situation unique de chaque personne et associez des émotions aux chiffres. Par exemple, expliquez qu’une différence de 50 000 $ pourrait représenter une auto de gamme intermédiaire, 150 000 $ un véhicule de type « véhicule aménagé quatre saisons » pour les voyages, et 300 000 $ un petit chalet familial.

Conclusion

En tant que professionnel et professionnelle de la planification financière, il est de notre responsabilité d’aider les Québécois et Québécoises à prendre des décisions éclairées concernant leur retraite. Le RRQ, souvent perçu comme un « pari perdant » si réclamé trop tôt, peut devenir un atout majeur pour la sécurité financière à long terme. En comprenant les mécanismes du RRQ, en sensibilisant vos clients et clientes aux biais cognitifs, et en utilisant des outils adaptés pour illustrer les conséquences de leurs choix, vous les aiderez à prendre une décision éclairée. En adoptant ces pratiques, vous serez mieux outillés pour les servir et contribuer à leur bien-être financier à long terme.

Pour approfondir vos connaissances sur ce sujet crucial, je vous invite à consulter le cahier de recherche complet.