Fiscalité

Audréanne Leblanc

LL.M. fisc., Pl. Fin.

Conseillère principale en planification financière et fiscale

Desjardins Gestion de patrimoine

Le fractionnement de revenu en planification financière

À quelques exceptions près1, notre système d’imposition canadien et québécois est basé sur l’individu plutôt que sur le ménage. Cette particularité fait en sorte que lorsqu’une seule personne dans un ménage gagne les revenus, l’imposition est plus élevée que si le revenu était réparti entre les deux membres du couple.

Certaines exceptions autorisent le fractionnement des revenus entre conjoints ou conjointes, ce qui peut conduire à une réduction de l’impôt global payé par le couple. Il est essentiel de bien comprendre ces particularités lors de l’élaboration de la planification financière.

Ce texte examinera d’abord des solutions applicables à un particulier, puis il explorera les stratégies supplémentaires applicables à un actionnaire2.

Fractionnement des revenus de pension

Depuis 2007, une exception s’applique au revenu de pension.

Revenu pouvant être fractionné avant 65 ans3 (Fédéral seulement) :

  • Les paiements de rente reçus d’un régime de pension agréé.

Revenu pouvant être fractionné après 65 ans (Fédéral et Québec) :

  • Les paiements de rente reçus d’un régime de pension agréé.
  • Les paiements reçus des fonds enregistrés de revenu de retraite (FERR).

Bien que les logiciels d’impôts actuels facilitent le calcul du fractionnement du revenu et que cette tâche soit généralement effectuée par le préparateur ou la préparatrice d’impôt, le rôle du planificateur financier ou de la planificatrice financière reste pertinent dans certains aspects, notamment pour ce qui est de :

  • vérifier que les retraits effectués du régime enregistré d’épargne-retraite (REER) après l’âge de 65 ans soient réalisés avec le FERR ;
  • considérer les implications du fractionnement du revenu lors de la prise de décision du moment optimal du retrait du FERR ;
  • bien expliquer au particulier qu’il s’agit d’un transfert fictif des revenus et non d’un transfert réel. Il est important de sensibiliser les clients et les clientes à la facture fiscale puisque le transfert des impôts est réel.

1 Pour certaines mesures socio fiscales, le revenu familial est considéré.

2 Nous ne traiterons pas non plus de l’attribution au niveau des enfants, bien que certaines règles abordées dans ce texte pourraient s’appliquer si un enfant est inclus dans la structure corporative.

3 C’est l’âge de la personne qui fractionne ce qui est considéré.

Fractionnement du RRQ

 Il est possible de demander une division de la rente du Régime de rentes du Québec (RRQ). Ici la répartition du revenu est réelle. La pension de sécurité de vieillesse (PSV) n’est pas fractionnable.

Don pour cotisation au CELI

Il est possible de faire un don à sa conjointe ou son conjoint pour qu’il cotise à un compte d’épargne libre d’impôt (CELI) sans déclencher les règles d’attribution. Cependant, il faut être prudent, car ces règles pourraient s’appliquer si l’argent retiré du CELI est ensuite utilisé pour acquérir un bien générant des revenus imposables, comme l’achat d’un immeuble locatif.

Prêt entre conjoints

Le prêt entre conjoints ou conjointes était largement utilisé auparavant. Bien que cette stratégie soit toujours disponible, elle est moins efficace avec le taux prescrit actuel de 5 %4. Il est important de suivre l’évolution du taux prescrit pour vérifier si cette stratégie redevient avantageuse5. Le taux utilisé est toujours celui en vigueur lors de la mise en place du prêt.

Cotisation au REER du conjoint

Bien que le fractionnement soit possible, la cotisation au REER du conjoint ou de la conjointe reste une alternative intéressante puisque cette stratégie permet un fractionnement à 100 %, alors que d’autres stratégies se limitent à un fractionnement maximal de 50 %6. L’impact en cas de séparation doit cependant être analysé.


4 Du 1er juillet au 30 septembre 2024.

5 Pour consulter l’évolution du taux prescrit : Taux d’intérêt prescrits - Canada.ca

6 Il faut cependant respecter le délai des trois 31 décembre, soit deux années civiles complètes.

La complexité du fractionnement de revenus dans une société : les réflexes à avoir

Ce texte vise à vous fournir les outils nécessaires pour poser les bonnes questions aux professionnels et pour comprendre les répercussions potentielles des différentes règles sur les projections effectuées lors d’une planification financière.

Pour commencer, voici quelques questions à considérer pour évaluer la possibilité et les implications de verser un dividende à son conjoint :

Est-ce que j’ai le droit de payer un dividende au conjoint ?

Bien que simple, il est crucial de d’abord vérifier si la conjointe ou le conjoint est actionnaire ou s’il pourrait le devenir. La conjointe ou le conjoint peut détenir des actions directement ou indirectement par le biais d’une fiducie. L’acte de fiducie, l’actionnariat de l’entreprise et la description du capital action vous permettront de déterminer si le versement d’un dividende est possible ou non.

Est-ce que j’ai la pleine latitude quant au montant à verser ?

Si la conjointe ou le conjoint a le droit de recevoir des dividendes, il est important de se poser les questions suivantes :

  • Quelle catégorie d’actions la conjointe ou le conjoint ou la fiducie détient ?
  • Si je déclare un dividende, dois-je également le verser sur une autre catégorie d’actions ?

Cette information est pertinente en planification financière, car elle pourrait affecter les flux monétaires.

Est-ce que les règles de l’Impôt sur le revenu fractionné (IRF) s’appliquent ?

Les règles de l’IRF sont complexes et visent principalement à éviter le fractionnement du revenu au sein d’une famille. Contrairement à d’autres dispositions légales, il ne réattribue pas les revenus à une personne, mais applique un taux d’imposition spécifique basé sur le taux marginal d’imposition. Si les règles de l’IRF s’appliquent et que la conjointe ou le conjoint reçoit un dividende assujetti à ces règles, le revenu sera imposé au taux maximal, annulant ainsi tout avantage du fractionnement. Pour une planification financière efficace, il est crucial de déterminer l’applicabilité de ces règles afin de calculer correctement les impôts des clients et clientes et d’éviter toute sous-estimation.

Est-ce que les règles d’attribution de 74.4 (2) L.I.R. s’appliquent ?

C’est souvent ici que le problème se pose, affectant la planification, les projections et l’ordre de décaissement.

Le mécanisme

Cette disposition7 prévoit un mécanisme lorsqu’un particulier résident au Canada, transfert ou prête un bien à une société et que l’une de ses intentions est de réduire son revenu et d’avantager directement ou indirectement une autre personne qui détient au moins 10 % des actions de ladite société (le conjoint ou la conjointe dans le cas ci-dessous).

En pratique :

Ici, nous examinons cette disposition dans le cadre d’un gel successoral et de l’intégration d’un conjoint ou d’une conjointe dans une structure corporative. En effet, lors d’un gel, le transfert des actions ordinaires en actions privilégiées peut apporter l’application de cette règle. Il est important de noter qu’il peut être difficile de déterminer si les règles d’attribution s’appliquent, car différentes exceptions existent, notamment lorsque :

  • la société est une société exploitant une petite entreprise (SEPE) ;
  • le gel a été effectué avec des dividendes en actions ;
  • ou lorsqu’il y a une fiducie et que celle-ci rencontre l’exception 74.4 (4) L.I.R.

Il est essentiel de consulter les professionnels ou professionnelles du client ou de la cliente en cas de doute.

L’effet sur la planification financière et la prise de décision

Lorsque les règles d’attribution s’appliquent, un intérêt réputé doit être considéré dans la déclaration de revenus de l’auteur ou de l’autrice du gel. Cet intérêt réputé représente le montant du transfert (soit la valeur des actions au moment du gel) multiplié par le taux prescrit en vigueur. Avec le taux prescrit actuel, ce montant peut devenir très important et influencer les décisions de décaissement du client ou de la cliente. Contrairement au prêt entre conjoints, ce taux n’est pas fixe à un moment donné, ce qui nécessite une attention particulière lors de la planification financière.

Une stratégie pour contrer l’effet de l’intérêt réputé est de verser un dividende imposable. En effet, le montant du dividende majoré vient réduire l’intérêt réputé, facilitant ainsi la planification.


7 S’applique au résident Canadien.

Exemple :

Émilie, en tant qu’actionnaire d’une société par actions, a réalisé un gel successoral il y a quelques années afin d’intégrer son conjoint dans l’entreprise. À l’époque du gel, la valeur totale de son entreprise était de 1 million de dollars. Émilie a ainsi converti cette valeur en actions privilégiées. Par la suite, elle et son conjoint ont chacun souscrit à 50 actions ordinaires de la société. Jusqu’en 2024, la société d’Émilie était active et qualifiée comme une SEPE. Cependant, elle a décidé de mettre fin à ses activités à la fin de 2024 et de vendre les actifs détenus par la société.

Selon l’avis de son comptable, les règles d’attribution s’appliquent, mais pas les règles de l’IRF.

Dans cette situation, si aucun versement de dividende imposable n’est effectué, Émilie se retrouvera avec un intérêt réputé de 50 000 $ dans sa déclaration de revenus. Soit 1 million multiplié par le taux prescrit de 5 % (en vigueur du 1er juillet 2024 au 30 septembre 2024.)

Du point de vue fiscal et financier, cet intérêt réputé n’est pas l’option la plus avantageuse pour Émilie. En réalité, le versement de dividendes permettrait de réduire la facture fiscale tout en retirant de l’argent de la société. Les montants de dividendes à verser seraient alors de :

  • 36 231 $ pour un dividende déterminé
  • et 43 478 $ pour un dividende non déterminé.

Dans ce cas, notre ordre de décaissement devrait considérer ce dividende.

Conclusion
 

Bien que le fractionnement soit une stratégie importante pour optimiser les finances, il est essentiel de toujours considérer l’aspect pratique et comportemental des stratégies employées avec la personne concernée.  Voici quelques questions à se poser : 

  • Sont-ils à l’aise avec la distribution de certains revenus au sein de leur couple ?
  • Ces stratégies entraînent-elles une charge administrative ou une complexité supplémentaire ? 
  • Ces stratégies pourraient-elles causer du stress ou de la confusion ?

Les réponses à ces questions détermineront la meilleure façon de conseiller les personnes qui vous demandent de l’aide.