Placements

Denis Preston

CPA (retraité), GPC

Fellow de l’Institut de planification financière

À la recherche du portefeuille optimal

Le portefeuille optimal n’existe pas. C’est la conclusion des professeurs Andrew W. Lo et Stephen R. Foerster, qui ont interviewé dix des plus grands pionniers de la finance, dont six qui ont reçu le prix Nobel d’économie, dans le livre In Pursuit of the Perfect Portfolio : The Stories, Voices, and Key Insights of the Pioneers Who Shaped the Way We Invest, ils affirment que :

« Le portefeuille optimal signifie des choses différentes, voire contradictoires, pour différentes personnes. »

Cet article traite de deux de ces pionniers de la finance et suggère deux questions supplémentaires à poser aux clients et clientes pour aller au-delà du simple profil d’investisseur.

Harry M. Markowitz

Le père de la théorie moderne du portefeuille

Lauréat du prix Nobel d’économie en 1990, Harry M. Markowitz est considéré comme le père de la théorie moderne du portefeuille « pour avoir développé la théorie du choix de portefeuille ». Selon cette théorie, un portefeuille est dit « optimal » s’il offre le meilleur rendement attendu compte tenu de son niveau de risque (calculé par sa variance alors que l’industrie financière utilise plutôt l’écart-type1), une relation mieux connue sous le nom de « frontière efficiente ».

L’industrie applique souvent une approche simplifiée des travaux de Harry M. Markowitz. L’un des portefeuilles les plus connus, né de cette approche, est le 60/40, soit un portefeuille composé à 60 % d’actions et à 40 % d’obligations.

Cependant, en planification financière, les simplifications sont souvent dangereuses. Voici deux commentaires de Harry M. Markowitz tirée du livre, qui décrivent la valeur ajoutée d’un planificateur financier :

« Ce qui est parfait pour vous ne l’est pas pour moi… Cela dépend de notre âge, de nos objectifs, de notre tolérance au risque, et même en tenant compte de cela, il y a une marge de manœuvre. »

« Analyser la décision de sélection du portefeuille de manière isolée revient à essayer de décider comment les fous doivent se déplacer dans une partie d’échecs sans considérer la partie d’échecs dans son ensemble. »

Les gestionnaires de placements, sauf ceux qui sont aussi planificateurs financiers ou planificatrices financières, n’ont généralement pas la vision globale nécessaire pour bien choisir un portefeuille véritablement adapté à la situation globale de son client ou de sa cliente. Dans Portfolio Optimization with Mental Accounts, Harry Markowitz va encore plus loin :

« Les investisseurs présentent plusieurs niveaux d’aversion au risque. Dans notre exemple, l’aversion au risque associée aux fonds consacrés à la retraite est élevée, mais celle associée aux fonds consacrés aux études est plus faible, et leur aversion au risque associée aux fonds destinés à la transmission est encore plus faible. »

« L’un des avantages du cadre de comptabilité mentale est que les préférences en matière de risque sont mieux spécifiées. »

Ainsi, si certains considèrent que la comptabilité mentale est uniquement source de biais, Harry M. Markowitz pense plutôt qu’il est utile de séparer les placements des clients et clientes en différents portefeuilles si leurs objectifs n’ont pas le même horizon ou impliquent des tolérances au risque différentes.


1 L’écart-type est la racine carrée de la variance.

Robert C. Merton

La volatilité n’est pas la seule mesure du risque

Récipiendaire du prix Nobel d’économie de 1997 pour ses contributions sur l’évaluation des options des actifs financiers, Robert C. Merton remet en question l’usage systématique de la volatilité comme mesure du risque pour les épargnants et épargnantes.
Voici un extrait de son livre In Pursuit qui résume bien sa pensée à ce sujet :

« En mars 2009, la valeur du plan de retraite de chaque personne aura diminué de 40 %, un résultat dévastateur. Mais supposons qu’une personne soit beaucoup plus jeune que l’autre. Pour la personne plus jeune, il se peut que seulement 10 % de ses avoirs de retraite totaux se trouvent dans le régime CD, tandis que les 90 % restants se présentent sous la forme de cotisations futures. Il n’aurait perdu que 4 % du total de ses avoirs de retraite. Cependant, la personne âgée peut avoir eu 90 % de ses avoirs de retraite dans son plan CD, entraînant une perte totale de 36 %, un désastre. “Si vous ne tenez pas compte de ces autres actifs incluant le capital et sa capacité d’épargne future — (Note de l’auteur), comment puis-je prendre une bonne décision concernant votre plan CD ? Vous avez tous les deux la même allocation, les résultats sont totalement différents.” »

Pour illustrer ses propos, supposons qu’une personne épargne annuellement 10 000 $ par an à partir de l’âge de 30 ans, et ce, jusqu’à 64 ans inclusivement, et que cette épargne est indexée annuellement à 3 % (soit un point de pourcentage au-dessus de l’inflation) afin de refléter l’augmentation de son revenu. Le tableau suivant illustre l’évolution de son portefeuille, en supposant un rendement constant de 5 % (soit un rendement brut de 6 %, moins des frais de 1 %) :

Le graphique montre clairement qu’en matière de planification de la retraite, une correction de 20 % à 60 ans est nettement plus dommageable qu’une correction de 40 % à 35 ans. Cela illustre bien la différence entre le risque à court terme (volatilité du portefeuille) et le risque à long terme de ne pas atteindre son objectif de retraite. L’âge et la situation du client ou de la cliente sont plus importants que la recherche d’un portefeuille qui optimise la relation rendement-volatilité dans un contexte théorique. Dans bien des cas, les investisseurs et investisseuses plus jeunes se concentrent trop sur la volatilité à court terme au détriment de leurs objectifs à long terme.

Le tableau suivant présente la valeur réelle des trois portefeuilles, une fois corrigée de l’illusion monétaire.

Correction

Aucune

40 % à 35 ans 20 % à 60 ans

Valeur au début de 65 ans

1 418 630 $ 1 292 392 $ 1 158 529 $

En % du 1er portefeuille

100 % 91,1 % 81,7 %

En dollar d’aujourd’hui (équivalent à 30 ans)

723 541 $ 659 156 $ 590 883 $

L’illusion monétaire donne l’impression qu’il est relativement facile de devenir millionnaire dans 30 ans, mais cela ne signifie pas nécessairement que cette somme sera suffisante à l’atteinte des objectifs du client ou de la cliente. Cette fausse perception pourrait l’inciter à adopter des profils trop conservateurs pour sa situation.

Pour aller plus loin que le simple profil d’investisseur

Pour ne pas nous concentrer seulement sur une pièce du jeu, je vous suggère d’incorporer les questions suivantes dans le profil global de vos clients. Ces questions ont été inspirées de l’ouvrage Lifetime Financial Advice : A Personalized Optimal Multilevel Approach.

Question 1. Taux d’actualisation subjectif

Imaginez que :

  • votre résidence est entièrement payée ;
  • vous prévoyez de prendre votre retraite dans 25 ans ;
  • vous vivrez encore 25 ans après votre départ à la retraite ;
  • votre budget total (hormis les dépenses pour les enfants) en dollars constants (exprimés en dollars d’aujourd’hui), incluant les revenus du travail et les revenus de placement, est de 5 000 000 $, soit une moyenne de 100 000 $ par an.

Vous avez trois trajectoires possibles de consommation.

En dollars constants (conserve le pouvoir d’achat)

Dépenses annuelles réelles avant la retraite

Dépenses annuelles réelles pendant la retraite

Option A

100 000 $ 100 000 $

Option B

80 000 $ 120 000 $

Option C

120 000 $ 80 000 $

Quelle option préférez-vous ?

• A

• B

• C

La question 1 permet de préciser comment le client ou la cliente souhaite distribuer sa consommation. Selon ses réponses, nous pouvons ajuster ses objectifs d’épargne et de retraite en conséquence. Nous présupposons trop souvent que le client ou la cliente veut avoir le même niveau de vie pendant ses différentes phases de vie, mais ce n’est pas nécessairement le cas.

Question 2 : Préférence ou non pour une consommation régulière

Vous êtes à la retraite et vous avez trois trajectoires possibles de consommation réelle (en dollars d’aujourd’hui).

Option

Année 1

Année 2

Année 3

Année 4

Année 5

Moyenne

A

100 000 $ 100 000 $ 100 000 $ 100 000 $ 100 000 $ 100 000 $

B

100 000 $ 110 000 $ 96 000 $ 110 000 $ 96 000 $ 102 000 $

C

100 000 $ 120 000 $ 90 000 $ 120 000 $ 90 000 $ 104 000 $

Quelle option préférez-vous ?

• A

• B

• C

Cette question permet de personnaliser le portefeuille de retraite du client ou de la cliente et d’écarter, s’il y a lieu, des stratégies de décaissements qui fluctuent selon les rendements des marchés financiers. Une personne peut avoir une forte tolérance aux comportements des marchés en période d’accumulation, mais avoir une forte intolérance pendant la retraite si cela affecte la stabilité de son niveau de vie ou de son statut social. Selon Financial Behavior, les clients et clientes, notamment ceux à valeur nette élevée, n’ont pas comme priorité le rendement, mais plutôt la diminution de l’anxiété.

En conclusion

Le portefeuille optimal n’existe pas. L’approche des portefeuilles dits efficients est trop théorique et ne se concentre que sur un aspect de la situation du client ou de la cliente (une pièce du jeu). Une des valeurs ajoutées des planificateurs financiers et des planificatrices financières est de se concentrer sur l’atteinte des objectifs de son client ou de sa cliente et d’avoir une vision globale des risques plus large que seulement la volatilité des rendements.